« He is Conan, Cimmerian. He won’t cry. So I cry for him. »
Lorsque j’étais adolescent, trois films en particulier, parmi une vingtaine d’autres, se refilaient sous nos manteaux d’adolescents boutonneux, en mauvaise copie VHS : Evil Dead, Mad Max et, donc, Conan le Barbare. Des trois, le dernier est celui que je n’avais jamais vu, peu attiré par les muscles saillants (j’étais gringalet) et les borborygmes monosyllabiques. Je découvre ainsi cette œuvre, désormais devenue culte, 40 ans plus tard, après m’être aperçu que la première ébauche fut signée Oliver Stone, tout juste sorti de sa première véritable participation scénaristique (Midnight Express, Alan Parker) dès 1978, c’est à dire à l’époque où la fantasy va commencer à se populariser via le cinéma, grâce au succès, notamment, de Star Wars (George Lucas, 1977) mais aussi à la première tentative d’adaptation du Seigneur des Anneaux (Ralph Bakshi, 1978). Jugée trop chère, trop décalée et trop risquée, l’ébauche de Stone est ensuite modifiée par le réalisateur John Milius, par ailleurs auréolé de succès critiques et commerciaux (Les Dents de la Mer, Steven Spielberg, 1975 ; Apocalypse Now, Francis Ford Coppola, 1979 ; 1941, Steven Spielberg, 1979) et futur créateur de l’excellente série Rome (2005).
A la distribution, on retrouve, évidemment, Arnold Schwarzenegger qui vit ainsi sa carrière réellement démarrer après 12 années de balbutiements culturistes divers, Sandahl Bergman qui restera cantonnée au cinéma dans des rôles similaires, Max von Sydow en déjà vieux roi désabusé et James Earl Jones en homme serpent ridicule. Question ridicule, d’ailleurs, on notera surtout les coiffures façon hippies censées figurer un âge barbare où les coiffeurs avaient piscine, même si les aisselles de l’héroïne sont, elles, impeccablement glabres. Pour revenir à l’interprétation, sans aucun doute l’élément le plus surprenant de ce film, il est difficile de se prononcer réellement sur sa justesse. Schwarzenegger, par exemple, alterne la naïveté de l’acteur amateur en mono-syllabes, malgré un long monologue d’au moins trois lignes peu avant la fin, avec des expressions de débile profond, ce qui rend attachant et authentique le personnage, autant qu’il énerve l’amateur de réflexions intérieures, ce dont le héros, ou l’acteur, semble totalement dépourvu. L’histoire raconte qu’il fut particulièrement entraîné durant des mois pour affiner son apparence, acquérir un minimum de qualités expressives et prononcer quelques mots.
Critiqué à sa sortie pour sa violence, ce qui ferait rire aujourd’hui, Conan le Barbare peut également prétendre au rang de film culte pour la qualité de ses décors naturels tournés en Espagne, de ses effets spéciaux assez convaincants dans leur simplicité, de ses maquillages (hormis, donc, les coiffures), de ses chorégraphies lentes et, plus que tout, pour sa musique, signée Basil Poledouris, fidèle des univers de John Milius et Paul Verhoeven.
Le scénario, enfin, s’il peut paraître n’être qu’une suite de scènes sans trop de cohérence, est dans la droite ligne des épopées mutiques avec narration minimale, telles que La Guerre du Feu (Jean-Jacques Annaud, 1981), mais qui restent traversées par un fil rouge initiatique, avec ses passages obligés (l’anéantissement du cocon familial, la quête, la mort et la résurrection du héros). L’oeuvre s’écarte cependant des stéréotypes sur un point crucial : il n’y a pas, ici, de lutte manichéenne du bien contre le mal mais plutôt la vengeance pure face au mal absolu, dans un univers dépourvu de morale, un monde nihiliste où le héros n’est pas mu par sa destinée mais par un instinct pulsionnel qui fait de lui une sorte de surhomme nietzschéen (comme s’y réfère d’ailleurs la citation en exergue, éculée s’il en est). Loin d’être un bête film d’action à mettre en concurrence avec les jérémiades simiesques d’un Sylvester Stallone sous anabolisant, Conan le Barbare est le film qui a relancé l’attrait pour la fantasy, largement surexploitée plus tard par les RPG. Un bout d’histoire cinématographique. Et capillaire.