Il est un homme, elle est une femme (là… sûr que je ne suis pas très original). Il est brun, elle est blonde. Il vient de la capitale animée par des soirées huppées, elle vit dans un quartier populaire d’une petite ville de province où il fait bon vivre. Il est prof de philo, elle est coiffeuse. Il ne croit pas en l’amour et donc pas au couple, elle rêve d’un prince charmant, pardon DU prince charmant. Il est quelconque, elle est jolie. Quoique la notion de beauté est très aléatoire et varie du tout au tout selon les uns et les autres. Et pourtant, ils vont être amenés à se rencontrer. Au vu des différences notables que je viens d’énumérer, le titre n’a rien de surprenant et s’impose comme une logique implacable. Certains d’entre vous diront peut-être que le titre spoile plus ou moins la chute du film. Rien n’est moins sûr, partant du constat que certains couples sont composés de deux personnes diamétralement opposées et qui marchent, à condition toutefois que ces personnes se complètent. A l’inverse, on dit que « qui se ressemble s’assemble », mais il suffit de regarder autour de soi pour constater que ce n’est pas là non plus un gage de réussite du couple. Dans le cas des différences, il faut trouver le parfait équilibre de la complémentarité. Concessions mutuelles doivent être inscrites dans tous les cas au programme permanent du couple. Il s’appelle Clément. Elle s’appelle Jennifer. Il vient d’être muté à Arras et ne connait personne, elle vit depuis toujours dans cette ville, aime son métier, a ses copines, ses activités extra-professionnelles et son fils. Lui ronge son frein contre cette mutation qu’il voit comme une punition voire un purgatoire et elle, croque la vie à pleine dent. Vient la rencontre, fortuite, comme seul le hasard sait les organiser. Mais comment Clément et Jennifer vont-ils s’apprivoiser alors que tout les sépare ? Cette formidable mécanique de la séduction est justement le premier atout du film. Oui, il en comporte quelques-uns, mais pour une fois, je préfère donner le premier dans son ordre chronologique. A voir évoluer les deux personnages, on se dit qu’ils ne tardent pas à trouver l’équilibre. Le fameux équilibre de la complémentarité. C’est normal, c’est tout neuf. Donc c’est forcément tout beau, tout merveilleux. Des sujets de discussions sont toujours trouvés, et bien qu’ils soient (presque) tous placés sous le signe de la philosophie, ils ne sont pas dénués d’intérêt. On s’étonne même que la petite coiffeuse parvienne à être plus loquace que le prof de philo. Pour la petite blague (extérieure au film), il se dit que la femme prononce deux fois plus de mots que l’homme : soi-disant parce qu’à nous les hommes, il faut toujours (enfin presque, il ne faut pas exagérer non plus) répéter deux fois la même chose… Ce n’est pas faux, même si ça fait mal de l’admettre. Nul besoin de répéter les choses pour aucun des deux personnages, leur relation étant suffisamment récente pour faire preuve d’une attention de tous les instants. Mais quand même ! Parler plus qu’un prof de philo, il faut le faire. Certains d’entre vous me direz que par son métier, elle est super entraînée. Bien qu’on ne la voit guère s’occuper d’autres clients, on peut supposer que ce n’est pas faux là non plus. Toujours est-il que les discussions distillées par les deux personnages principaux ne sont pas inintéressantes. Que ce soit par le prof lui-même quand il assure ses cours… lui au moins, on le voit un peu dans l’exercice de ses fonctions. Ainsi on nous prouve l’utilité de la philosophie, on nous apporte une autre approche du temps. Et puis il y a cette curieuse similitude entre la philosophie et la coiffure. Pour finir, vous saurez faire la différence entre « être belle » et « être jolie ». Seulement voilà : il y a une petite réplique arrivée assez tôt dans le film et qui reste quelque part dans un coin de notre tête et qui tourne inlassablement comme si celle-ci voulait revenir sur le devant de la scène pour mettre en évidence les différences. Cette réplique, justement soulignée par Gérard Rocher que je suis depuis quelques semaines, est la suivante : « Vous êtes professeur de philosophie, moi je suis coiffeuse ! » Constat innocent, mais tellement vrai. Deux métiers fondamentalement différents si on y réfléchit bien. Oh n’ayez crainte, je ne compte pas philosopher sur quoi que ce soit, mais il suffit d’être un minimum observateur pour déterminer que Jennifer se laisse guider par une grande part de hasard. Après tout, autant laisser se laisser porter par les événements comme ils doivent se faire. Les clients du salon : vient qui veut, à la fréquence qu’il veut. Ils ne sont pas toujours les mêmes, ont tous des personnalités différentes, des façons différentes de considérer les choses, des façons différentes de les appréhender. Certains sont bavards, d’autres plus taiseux, souriants ou renfrognés, bref il y a de tout. De quoi alimenter (ou pas) des discussions aux sujets variés. Forcément, Jennifer a de la bouteille en matière de discussion. Clément, lui, semble enfermé, prisonnier de la philosophie. Totalement prisonnier. Comme pris dans une camisole de force dont il n’arrive pas à se défaire, lui disant ce qu’il faut faire et ne pas faire, lui dictant la marche à suivre. Une camisole symbole de ces certitudes et incertitudes. Sauf que le gouffre des incertitudes lui fait peur, au point de se sentir obligé de tout rattacher à la philosophie (et donc aux certitudes). Un peu comme quelqu’un qui souffre du vertige et qui doit se faire seconder par une seconde personne pour arriver enfin à bouger. D’une certaine façon, cette seconde personne est personnifiée par Jennifer, mais celle-ci apporte malgré elle d’autres tourments : le vertige de l’amour. D’autant plus vertigineux qu’il n’était pas attendu, en tout cas pour Clément pas à Arras ! D’autant plus que ça menace ses certitudes très personnelles sur ce sentiment. Cependant au gré de l’évolution des personnages, Clément est-il vraiment amoureux ? Ou Jennifer n’est-elle pour lui qu’un simple plan cul, pour reprendre les termes de cette mignonette petite coiffeuse ? Le doute est permis. Lui se révèle pressé, maladroit. Un peu comme si son avenir immédiat devait en dépendre. Elle, pourtant plus active, plus vivante, est plus posée et veut prendre davantage le temps. Mmmm, perso, je préfère aussi quand ça résiste. Oulaaaaa, je m’égare. Où en étais-je ? Je ne sais plus. Si, ça y est : je repose les questions du début de ce paragraphe. Bien que j’ai ma petite idée, encore que le doute m’inonde encore plus ou moins, je laisse chacun aller de sa propre interprétation selon sa propre perception. Le fait est que le réalisateur-scénariste a su mettre en avant les attentes de l’un et les attentes de l’autre. Concernant Jennifer, c’est explicite. Pour ce qui est de Clément, c’est plus flou. Beaucoup plus flou. J’ai même supposé que c’était une femme qui avait fait ce film, n’ayant pas prêté attention aux noms lors du générique du début. Eh bien que nenni ! C’est bel et bien un homme, répondant au nom de Lucas Belvaux. Ouaouh ! Un homme qui sait reconnaître les défauts de la gente masculine vis-à-vis des relations amoureuses… Entre le cadeau antiromantique par excellence, le livre d’un auteur pour lequel on a besoin d’un dictionnaire pour essayer de comprendre ce qu’il dit, les non-dits et les maladresses qui font mal… Maintenant je comprends pourquoi le public est autant divisé. Pas facile de se voir jeter à la figure des vérités. Là je parle surtout voire exclusivement des spectateurs masculins. Ben tiens, la fierté en prend un coup ! Pas facile de voir avec autant d’évidence à quel point on peut être à côté de la plaque. Bon il est vrai que des fois (et là je risque de perdre quelques lectrices), les femmes ne sont pas simples non plus. Mais ce n’est pas le cas de Jennifer ! Elle au moins, a le mérite d’aspirer à quelque chose de vrai. A quelque chose qu’elle peut humer à loisir. La preuve par la simple mais néanmoins jolie scène de la plage. A quelque chose qu’elle veut partager à deux et pas toute seule. La preuve dans l’après séance du karaoké. Cette description de deux êtres ne peut être menée que par quelqu’un qui ressent véritablement les choses, par quelqu’un de profondément humain et capable de regarder la nature humaine dans sa plus stricte vérité. Mais elle ne peut être possible aussi que par des acteurs totalement impliqués. C’est le cas de Loïc Corbery dans le rôle de Clément et d’Emilie Dequenne dans celui de Jennifer. Mieux, on sent cette dernière totalement concernée. C’est à se demander si quelque part, en ce scénario elle n’a pas trouvé écho à sa vie ou à une partie de sa vie. Il suffirait de se pencher sur sa biographie pour le savoir, mais comme je ne suis pas du genre presse VIP… eh oui, je suis de ceux qui laissent les stars vivre leur vie. Bref ! Dans tous les cas, Emilie Dequenne s’active beaucoup dans ce rôle et y parvient avec brio tant elle rayonne. Quant à Loïc Corbery, ou plutôt Clément, on a envie de lui balancer quelques coups de pied au cul. De lui dire de continuer comme ça s’il veut retourner dans les tourments d’une solitude qui l’étreint. Oui, il est seul. Seul avec sa philosophie qui lui noue les bras et les pensées. Il n’y a qu’à le voir lors de la soirée parisienne. Franchement, il appelle ça s’amuser ? Dans l’affirmative, ça ne se voit pas. Et puis il y a cette fin, brutale. Moi je trouve que c’est bien que ça se termine ainsi. Bon d’accord, là je viens de dire à demi-mots la chute du film, ce que je voulais absolument éviter malgré une certaine prévisibilité. Mais pour moi, c’est la meilleure façon de donner à réfléchir. Après tout, dans une vie de couple, rien n’est jamais acquis à vie, même si on est mariés. Il n’y a qu’à regarder le nombre de divorces. "Pas son genre" serait-il donc un film parfait ? A mon avis, il est perfectible. Certains personnages secondaires auraient mérité d’être davantage développés. Je pense notamment aux deux copines de Jennifer, j’ai nommé Nolwenn (Charlotte Talpaert) et Cathy (Sandra Nkake). Je ne sais pas comment est fichu le bouquin, puisque ce film n’est ni plus ni moins que l’adaptation du roman éponyme de Philippe Vilain, mais elles auraient peut-être apporté un plus dans cet esprit d’ouverture au monde de Jennifer. Je pense aussi à la collègue de Clément, Hélène Pasquier-Legrand, campée par une formidable Anne Coesens qui fait preuve ici d’un charisme synonyme de classe sulfureuse. Ne sachant toujours pas comment est fichu le bouquin, peut-être qu’elle aurait pu amener un peu de piquant. Comment Clément peut-il passer à côté d’une aussi fervente lectrice ? Est-ce parce que ça semblait trop facile, et donc sans saveur ? Et puis il y a quelques longueurs. Des plans qui se prolongent un peu trop. Ou carrément des scènes, comme la première chanson en karaoké, que j’aurai bien vue raccourcie. Encore que les chansons n’ont pu être mieux choisies, il faut le reconnaître.
Et puis quand bien même, on se doute plus ou moins de la façon dont tout va se terminer. Mais pas de la façon dont c’est amené. Cependant j’attendais plus d’émotions encore. Même si ce film colle de très près à la réalité, je ne peux m’empêcher de penser qu’on est loin, très loin de l’émotion d’un certain "Sur la route de Madison". Certes ce n’est pas comparable, les deux films ne battant pas du tout le même pavillon, et n’étant pas dotés des mêmes talents. Encore qu’Emilie Dequenne a mis tout son cœur dans ce rôle. Devrais-je dire toute son âme. Mais il manque encore quelque chose. La musique peut-être, pourtant bien présente, mais que j’ai trouvé assez plate malgré un style conforme à l’histoire. Il n’en reste pas moins un bien joli récit, qui ne sera pas du genre de tout le monde mais qui vaut indéniablement le détour pour les quelques vérités et la prestation d’Emilie Dequenne. Pour finir, je voudrais réagir envers ceux qui ont dénoncé le cliché des poivrots à Arras. Il me semble qu'on en trouve partout, non ? De Lyon à Bordeaux, en passant par Marseille, Toulouse, Brest ou Charleville-Mézières (la liste n'est en rien exhaustive) et dans cette pléiade de villes plus désœuvrées car victimes d'un chômage plus important qu'ailleurs. Oui peut-être que les poivrots sont un cliché concernant Arras, mais pour moi l'histoire aurait pu se passer n'importe ailleurs, du moment qu'elle soit en dehors de la capitale au vu du caractère très parisien de Clément et revendiqué comme tel. Donc, adieu le cliché : non seulement il n'a pas lieu d'être mais en plus ça n'en est pas un si on prend la peine de réfléchir un peu.