Même s'il s'agit d'une histoire d'amour, qualifier le film de Lucas Belvaux de comédie romantique semble bien saugrenue quand tout son propos (et le simple fait d'en avoir un le distingue de biens d'autres comrom) l'oppose aux modèle du genre, Pretty woman et autres contes Disney qui nous font croire que l'amour est plus fort que tout. Dans Pas son genre, l'amour est un jeu qui se joue à deux et à la fin c'est le déterminisme social qui gagne.
Je n'avais pas vu un aussi bon film sur les couples séparés par leur milieux depuis La Vie d'Adèle. Mais l'incompatibilité socioculturelle se double ici d'un décalage sentimental car ce couple est différent jusque dans sa façon d'aimer. Clément d'abord est difficile à cerner : son amour de la littérature est tel qu'il vit autant sa vie dans ses lectures que dans la vie réelle. Il est prisonnier de son éducation et de ce qu’il est mais il a également de vrais lacunes affectives, des difficultés à sociabiliser et au-delà de son indéniable lâcheté, est incapable de verbaliser ses sentiments et de s’engager car aimant uniquement dans le présent. Pour autant il s’intéresse sincèrement à Jennifer, l'écoute sans la mépriser. Il serait injuste de n'en faire qu'un salop profitant de Jennifer mais pour autant il n'envisage jamais faire sa vie avec elle, à aucun moment il ne lui dit je t'aime, ou n'accepte de rencontrer son fils ce qui serait une étape supplémentaire dans son engagement. Son refus de la présenter devant sa collègue est symptomatique de l'ambivalence de son comportement et de sa lâcheté. Et c'est sa tragédie car il a tout de l'homme bien.
Si pendant la séance je me suis davantage reconnu dans Clément, de façon surprenante, je développais plus d'empathie pour Jennifer. Car Jennifer incarne une vraie, belle femme. Normale mais tellement positive : elle aime son job, sort avec ses amis, sait aimer. La bonne idée de Philippe Vilain c'est qu'elle est à la fois simple avec pour principale ambition d’être heureuse mais qu'elle n'est pas conne pour autant (en témoigne son choix final). Elle est de plus entière et s’offre totalement dans sa relation même si celle-ci semble vouée à l’échec dès le départ. Elle n'attend pas le bonheur, elle le construit. Bien davantage que Clément (qui est presque spectateur / analyste de son propre couple) elle est moteur dans la relation et s'efforce de fixer leur amour par exemple en essayant de lui faire rencontrer son fils. Elle tente également de se faire désirer, de susciter une réaction chez ce philosophe dont les ailes de géant l'empêche d'éprouver des sentiments, d'aimer tout simplement. Elle est généreuse et aime les choses pleinement, entièrement et c'est cet engagement qui confère une certaine noblesse à ses choix. De la même façon sa façon de toujours se montrer maquillée, coiffée, jolie. Cela pourrait paraître de la coquetterie, une perte de temps voir une marque de superficialité ou de narcissisme mais pas chez elle. C’est plutôt une forme de respect d’autrui, par politesse, pour donner une belle image d’elle-même. Si on veut aller plus loin on peut aussi se dire que se teindre en blonde décolorée c'est une volonté de plaire, de fabriquer une image destinée à plaire aux désirs supposés des hommes.
Ce que j'ai aimé dans ce film sur les différences sociales c'est que je n'ai pas eu l'impression de regarder des clichés même si les marqueurs sociaux sont nombreux. Les noms des personnages (Jennifer vs Clément), leurs villes respectives (Paris vs Arras), leurs goûts musicaux (Opera vs karaoke), leurs vêtements ou leurs lectures sont des stéréotypes certes mais finalement assez fidèle à leurs réalités respectives. Ils correspondent à leur milieu sans être caricaturaux. J'ai également beaucoup aimé le traitement de la culture dans ce film. Aujourd'hui (et c'est à mon avis nouveau et inquiétant) on affiche fièrement son inculture, pire on la revendique si bien qu'elle devient une source de célébrité (cf. la chroniqueuse au shampoing). Ce qui était un des rares moyens de transcender les classes sociales (avec le sport) devient un autre moyen de cliver les gens, les diviser. Certaines classes sociales s'auto excluent ainsi de certains loisirs (Opéra, musée, roman...) parce que cela n'est "pas pour eux". Les films d'auteurs, les intellos ou les Bobo sont maintenant des termes péjoratifs pour une partie de la population. Et c'est affreux parce que de facto cela signifie que les classes sociales supérieures se sont appropriées tout un pan de l'art qui par définition devrait être accessible à tous. Je crois que l'on peut s'élever par l'art, la culture et pas seulement par le pognon car c'est ce qui célèbre la vie nous fait vibrer et finalement nous rend humain. Je m'égare et avec un niveau littéraire qui ne fait pas honneur au thème que je défend mais toujours est il que Jen, elle, sans avoir honte de son inculture (et c'est tant mieux) s'intéresse aux goûts de Clément aux nouveaux horizons et possibilités qu'il lui rend accessible et desquels elle s'approprie certains éléments. Les barrières sont néanmoins hautes et l'on voit qu'elle n'a tout simplement pas les bases suffisantes, les clefs de lecture nécessaires à la pleine compréhension (mais qui peut s'en prévaloir ?) de certaines œuvres. Ainsi sur Zola où elle ne s’intéresse qu'à la qualité de l'histoire et non à ce que l'histoire raconte de l'époque, des personnages. (Le réalisateur fait d'ailleurs une habile mise en abîme puisque Zola raconte dans Le Bonheur des Dames l'amour du Directeur pour une... de ses vendeuse sans le sou). C'est cette volonté d'apprendre qui la rend si touchante et cette scène au bar, si cruelle. L'autre élément qui ne peut que susciter l'empathie c'est qu'on sent qu'elle prend du recul sur sa vie et ses choix passés. Elle s'aperçoit que ce qui rend leur amour impossible c'est qu'ils n'arriveront jamais à se rencontrer intellectuellement. Tous deux sont pourtant intelligents, amoureux, libres de contraintes extérieures et indépendants financièrement. Mais une fois encore le fossé culturel, la fracture sociale est trop haute. J'ai donc trouvé ce film très intelligent dans la construction des ses personnages mais aussi lors de certaines scènes particulièrement astucieuses. Ainsi les scènes d'amour ne sont tournés que sur les visages. J'ai trouvé cela intéressant car éviter de filmer les corps et se focaliser sur les têtes c'est traduire par la mise en scène, le choix de caméra, le rapport sexuel comme un choix réfléchit plutôt qu'une pulsion hormonale. Et c'est brillant car là encore c'est montrer la maturité de Jennifer qui d'ailleurs préviens Clément que "les aventures" ne l’intéresse plus. J'ai aussi aimé l'idée de traduire (même si c'est peu subtile) l'état émotionnel du moment de Jennifer à travers ses interprétations au karaoké. Les scènes sont d'autant plus réussis que les performances sont convaincantes. En bref, un film qui traite très bien son sujet et est tout aussi réussi (et c'est rare) que le livre dont il est tiré.