D'emblée, La Nuit du 12 s'affranchit d'une convention. L'affaire dont on va suivre le déroulement ne trouvera pas de résolution. Une sacrée audace, la note d'intention est intégrée : l'important est à chercher ailleurs. Dominik Moll ne joue pas les tortionnaires, le crime abominable sera le seul évènement vu à travers les yeux de sa victime, une jeune femme. À partir de là, la mécanique d'une lente et douloureuse remise en question se met en place. Comme son personnage principal, l'inspecteur Yohan (Bastien Bouillon, magnétique) féru de cyclisme, on ne fait que tourner en rond.
Ne vous méprenez pas, on peut accoucher d'un chef-d'œuvre absolu sans offrir de dénouement clair (Zodiac de David Fincher). Sans aller jusque-là, le film de Moll a largement de quoi devenir un petit classique. La Nuit du 12 parvient à accrocher son public après une ouverture qui pourtant ne laisse place à aucun doute. Impasse ? Qu'à cela ne tienne, on assistera religieusement aux interrogatoires, on suivra avec dévotion les nouvelles pistes, on soutiendra jusqu'au bout le duo de policiers dont l'équilibre moral est tout près de tanguer. Parce qu'un spectateur un tant soit peu attentif scrutera chaque intonation, expression faciale ou déclaration pour trouver la faille ? Sûrement. Pour y parvenir, il faut arriver à rendre chaque étape de cet échec captivante. C'est le cas ici.
Le choix d'une mise en scène épurée raccorde parfaitement avec l'écriture sensible, cruelle (parfois même drôle) mais gravement belle. Pas de cinéma vérité, mais un cinéma qui la cherche, une grosse nuance. Le "parler vrai" n'est en rien gage de pertinence, les mots (ou les silences) doivent être soigneusement sélectionnés. D'où l'émotion qu'ils créent, par exemple lors d'une entrevue déchirante avec la meilleure amie de la défunte (Pauline Serieys, émouvante). Comme nos héros, on réalise que plus on croit avancer plus on se coince.
Une femme tombe dans l'obscurité, les hommes se révèlent en plein jour. Moll ne joue pas du manichéisme, son œuvre dévisse certains archétypes (Marceau, campé avec génie par Bouli Lanners) pour mieux rendre son état des lieux limpide. Le film à enquête se métamorphose en introspection d'un mal(e) qu'on est bien en peine de couper à la racine. Par hypocrisie, lâcheté ou sauvagerie. De tout cela, on en retrouve des bouts avec tel suspect ou chez tel agent de police, au détour d'une remarque chargée de sous-entendus de sens ou d'une attitude lourde de sens. Il n'est pas anodin de finir sur une note plus lumineuse par l'entremise d'un nouveau personnage qui, à défaut de débloquer l'investigation, pourrait bien entrouvrir une nouvelle perspective à ces hommes dévorés.