Six césars dont celui du meilleur film et de la meilleure réalisation. C'est mérité car La nuit du 12 de Dominik Moll est un excellent film, bien écrit, tiré aussi du non moins excellent "18-3- Une année à la PJ" (ndr de Versailles ) de Pauline Guéna (2019) dont le dernier chapitre relate cette affaire non élucidée de meurtre d'une jeune femme, Clara Royer dans le film, Maude dans la réalité.
En revoyant ce film hier, je ne peux m'empêcher d'y voir comme l'écho de cet autre excellent ouvrage, "Laëtitia", de Ivan Jablonka (Prix Médicis 2019), également porté à l'écran, qui relate un autre féminicide et dont l'objet était de ne pas réduire la vie et l'épaisseur humaine de la victime à sa seule mort, horrible.
La vie de Clara était sans histoire et sans déraison. Elle vivait de l'air du temps. Joyeuse et "pas compliquée". Son assassinat paraît en regard juger l'ensemble de ses actes et ce regard, m-accusateur, I'm-voyeur, pèse lourd dans l' évocation de cette jeune femme de 21 ans dont on apprend rien ou presque.
Sa meilleure amie, Stéphanie, est très sensible à cette déviance et le dit à Yohan (Bastien Bouillon ) que cette affaire commence à obséder et à lui tourner dans la tête comme il tourne sur un vélodrome à ses heures perdues pour se vider l'esprit.
Mais dans La Nuit du 12 il y a autre chose et l'angle principal vient du regard policier qui interroge sans commenter les témoignages pitoyables des ex, tous dépourvus de sentiments, comme Clara apparemment. L'amour n'est en fait pour tous ces jeunes qu'un brassage des corps qui a ses règles, ténues. Il est réduit à une multitude d'interconnections sans lendemain, apparemment sans risque et sans conséquence aussi, sauf... qu'il y a justement la nuit du 12 pour venir le contredire.
Il faut l'arrivée d'une nouvelle juge d'instruction (Anouk Grinberg) pour dire que certaines choses ne peuvent pas s'oublier, faute de preuves. La justice est , même non rendue, une question de mémoire.
Le film concentre aussi son regard sur la psychologie du policier, seul devant les faits qui deviennent des rapports , devant les arrangements peu ragoûtants des uns et des autres pour dépasser cette mauvaise affaire, des hypothèses qui finissent par hanter les nuits et les jours, où les raisonnements qui sont tenus achèvent de se réifier quand tout piétine. Je sais car ca m'est arrivé . Et c'est effectivement le moment où il faut passer la main. C'est bien vu et on sent bien que tout le film est bien sourcé.
On sort du film sans avoir, comme Johan, la moindre piste et où tous pourraient être coupables, comme tous hommes pourraient l'être. "L'inconnu de la poste" de Florence Aubenas (2021) montre comment une enquête peut soudainement voir son cours changer. Mais là, rien de tel encore. On y croit pourtant jusqu'à la fin. Il n'y a pas prescription de toute façon.
Dernier point enfin... tout la technique filmique est mis au service du ton du film. Le meurtre lui même sans son direct et tout le reste, les gros plans (très majoritaires), la musique, l'absence de recherche d'effets spectaculaires qui font précisément l'intérêt du narratif, sobre et triste, comme un jour de deuil.
A revoir donc .