‘Tár’ est encore un film qu’on verra avec d’autant plus d’intérêt qu’on est admiratif de Cate Blanchett, son actrice principale et l’une des plus fascinantes de sa génération, au point qu’elle constitue parfois l’unique point d'intérêt de très mauvais films comme ‘Cendrillon’ ou ‘Thor : Ragnarök’. Cette fois, on est invité à évoluer avec elle dans le petit milieu de la musique classique berlinoise. Experts, gestionnaires et artistes y discourent gestion des ressources humaines, planification de la saison des concerts et théorie musicale. Ce regard documenté et hyperréaliste porté sur un milieu dont l’envers du décor n’est que rarement évoqué confère une atmosphère feutrée et un peu glacée à ‘Tár’ ce qui, couplé à sa facture bavarde, visuellement dépouillée et un peu snob, pourrait perdre certaines personnes en cours de route. Lydia Tár est une chef d’orchestre réputée, elle a gravi les échelons à coup de travail et de talent, malgré les a-priori contre les femmes qui occupent cette position : c’est une personnalité brillante, sûre d’elle, qui mérite la position qu’elle a acquise, une position de pouvoir qui lui permet effectivement d’appréhender avec recul (ou indifférence) la situation et le ressenti personnel d’autrui. ‘Tár’ dure peut-être un peu trop longtemps, c’est quelque chose qu’on peut lui reprocher, et durant ces deux heures trente qui s’écoulent à un rythme très lent, on verra les nuages noirs, venus du passé mais aussi provoqués par son comportement présent, s'amonceler au-dessus de la success-story de Lydia, comportement que, des plus infimes détails aux décisions les plus radicales, Todd Field aura pris soin d’exposer dans un maximum de circonstances différentes. Lydia Tár n’est pas un monstre, elle agit comme la plupart des gens agissent dans la position qui est la sienne mais dans un projet qui aurait voulu être lisible à tout prix (c’est à dire fonctionner à coup de clichés et d'archétypes), elle aurait été jouée par un acteur. Le fait qu’elle soit une femme et succombe finalement aux mêmes travers d’exercice inique du pouvoir, de manipulations arbitraires et d’intimidation sentimentale rend le film assez singulier. Confite dans un sentiment de sécurité factice, pétrie d’une arrogance qui la pousse à ne tenir aucun compte de la réalité objective et affrontant sa déchéance la tête haute, Lydia Tár, rappelle un autre alter-ego de Cate Blanchett, le ‘Blue Jasmine’ de Woody Allen, oeuvre plus superficielle mais aussi plus sympathique que son absence d’austérité et de volonté de démontrer sa maîtrise de son sujet et de sa méthode rendait beaucoup plus accessible et plus agréable.