Désagrégation
In the bedroom en 2001 Little children en 2006, et voilà toute la filmographie de Todd Field qui, à 59 ans, nous propose seulement son 3ème film. Et c’est un must ! Lydia Tár, cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concert très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d’une façon singulièrement actuelle. En émerge un examen virulent des mécanismes du pouvoir, de leur impact et de leur persistance dans notre société. 158 minutes de descente aux enfers et d’effondrement social qui poussent une musicienne mondialement connue jusqu’aux confins de la folie. Une symphonie assourdissante.
Voilà un scénario impitoyable et qui sait créer un malaise, d’abord impalpable, puis sournois et enfin insupportable pour l’héroïne, sorte de maestra assoluta, perdue dans un monde d’hommes. Ce drame dresse un examen très contemporain des dynamiques toxiques de pouvoir et de leurs diverses conséquences. Todd Field plonge le spectateur dans un labyrinthe de doutes, de troubles et de silences. Même si – et ce sera mon seul bémol, alors qu’il y a 4 dièses à la clé de cette symphonie de Mahler – je pense que les quelques scènes flirtant avec le fantastique n’apportent pas grand-chose de plus. L’histoire, est conçue comme une partition qui commence legato, suit un accelerando d’abord en pizzicati puis avec des accents plus marqués pour finir fortissimo dramatico. Un majestueux faux biopic qui nous parle du génie et de ses excès. Rigoureux, austère, glaçant et érudit, ce film peut en intimider plus d’un. Et pourtant…
La superbe Cate Blanchett – déjà le Bafta, le Golden Globe et le prix d’interprétation à la Mostra de Venise pour ce film - trouve un rôle à la démesure de son talent dans ce film inclassable et angoissant. Elle serait en route pour un Oscar que ça ne m’étonnerait qu’à moitié. Peut-être son plus grand rôle avec le Blue Jasmine de Woody Allen. A ses côtés, Nina Hoss, Noémie Merlant et Olga Kauer - qui joue elle-même du violoncelle - sont tout simplement parfaites. Ces deux heures quarante posent une question devenue fondamentale au XXIème siècle : faut-il se comporter comme un homme quand on est une femme pour accéder au pouvoir ? Osez ce très grand film, rare et esthétiquement somptueux. Et puis Mahler, Elgar, l’orchestre Philarmonique de Dresde, quel écrin !