A la réflexion, ‘Pauvres créatures’ est une sorte de pendant Freaky de ‘Barbie’, surtout dans sa seconde moitié (qui est également la moins convaincante). Il se destine à ceux qui auraient rêvé que Tim Burton tourne un récit d’émancipation féminine qui se servirait de sa façade absurde pour exprimer des choses sérieuses, et le réalisateur aurait effectivement peut-être validé ces environnements urbains conçus selon une improbable idée “Art-Déco Fantasy”. On y retrouve évidemment aussi quelques manies de Lanthimos, comme le plan “convexe””, déjà abondamment employé dans ‘La favorite”. En filigrane, cet émancipation se traduit dans l’affirmation que, quel que soit son histoire passée et les contraintes auxquelles elle fait face, une femme a le droit, les moyens et le devoir d’inventer qui elle veut être, sans avoir de comptes à rendre. Bella Baxter est en effet le résultat de l’expérience d’un savant détaché de toute contingence morale qui a greffé dans le cadavre d’une femme enceinte retrouvée noyée dans la Tamise, le cerveau de son propre bébé. Quand je ne m’attends pas du tout à une trouvaille scénaristique et que je conviens que j’aurais bien aimé avoir une idée pareille, 50% de la réussite est déjà assurée en ce qui me concerne. Bella possède donc les mouvements hésitants et désarticulés, la naïveté, l’étonnement permanent, la soif de nouvelles expériences d’un nouveau-né, ce qui constitue de toute évidence un formidable terrain de jeu et d’expérimentation pour Emma Stone,. N’étant que pulsions en attente de régulation, Bella découvre fortuitement sa sexualité et décide ensuite de partir explorer le monde pour parfaire son éducation. Toute cette première partie du film en devient une fabuleuse comédie surréaliste car Bella a été éduquée en vase clos dans une optique purement rationnelle et son éducation exige d’elle qu’elle cherche l’optimisation en priorité. Bien qu’elle évolue dans dans une société corsetée, elle n’attache pas de valeur morale à des concepts comme la conversation ou le sexe, et ne trouve aucune explication logique qui lui permette d’appréhender des concepts comme la domination masculine ou la fidélité maritale. ‘Pauvres créatures’ s’inscrit dans une longue tradition d’oeuvres, de ‘Candide’ à ‘Borât’ qui, par le truchement d’un personnage qui ne comprend pas les règles du jeu, met la société face à la vacuité et l’absurdité des règles qui lui permettent de fonctionner. Par après, le film se force quand même à ne plus être aussi débraillé et, à mesure que Bella découvre les aspects les plus sombres de la condition humaine, se teinte d’une réflexion métaphysique et existentielle plus ordonnée et “convenable”.