Certains disent que Pedro Almodovar fait toujours le même film, sur le même thrène et avec les mêmes actrices. Au vu de « Madres Paralelas », on ne peut pas franchement leur donner tort ! La maternité, les femmes fortes et indépendantes, les liens biologiques et le dévouement maternel, ce sont les thèmes de « Madres Paralelas » comme de quasiment tous ses autres films ! Son film fait deux heures, et il y a quelques petites longueurs, quelques scènes un peu trop longues dont il aurait pu se passer. Mais c’est bien la seule chose que l’on puisse redire à son travail de réalisateur. Les plans sont travaillés, la photographie aussi et j’aime bien sa façon de faire des écrans noirs progressif pour clore certaines scènes (une avec zoom avant sur une tasse de café, noir de quelques secondes et hop : scènes suivantes plusieurs mois après). C’est rare dans le cinéma de 2021 de voir des transitions comme celles-là, un peu vintage. L’habillage musical est très agréable sans être omniprésent et son film trouve rapidement le bon rythme. Et comme il filme bien son actrice fétiche : Pénélope Cruz ! Elle irradie à chaque plan, même sans maquillage et échevelée, elle est sublime. Il trouve le bon angle pour la filmer, pour la mettre en valeur. Déjà, je me souviens de « Volver » où elle brulait la pellicule, et bien ici c’est pareil. Elle incarne Janis, une jeune femme indépendante qui découvre la maternité sur le tard. Qu’elle soit bouleversée ou radieuse, elle est juste tout le temps, jamais elle n’en fait trop, jamais elle n’en fait pas assez, elle est tout à fait à son affaire dans « Madres Paralelas ». Du coup, c’est un peu plus difficile pour Milena Smit d’exister dans le rôle d’Ana. Sans vouloir être trop dure, elle est moins convaincante, elle semble un peu en retrait vis-à-vis de Pénélope Cruz. Il y a fort peu de seconds rôles, Israel Elejalde et l’inévitable Rossy De Palma réussissent à titrer leur épingle du jeu malgré un tout petit nombre de scènes. Le scénario est un scénario à deux têtes et les seconds rôles s’en trouvent un peu sacrifiés, ce qui est dommage : on aurait aimé en savoir plus sur le père d’Ana, notamment, étrangement absent
alors qu’il a scellé le destin de sa fille et a visiblement une influence encore forte sur elle
. Le scénario est un scenario à deux têtes et aussi un scénario à deux thèmes. On aurait tord de croire que ces deux thèmes n’ont rien en commun, en réalité ils se répondent. La première intrigue c’est bien entendu cette histoire de maternité : le lien affectif, le lien biologique, les deux se complétant ou s’affrontant. On l’a dit c’est une obsession chez Almodovar : l’amour maternel et les extrémités où il peut vous emmener. Sur cette première intrigue, que je vais m’abstenir de dévoiler,
on a une impression permanente de bombe à retardement. C’est assez anxiogène, plutôt réussi, plutôt bien vu malgré quelques petits détails qui peuvent faire tiquer (on peut faire un test ADN a quelqu’un sans qu’il comprenne ce qu’il est en train de faire ?).
Là où j’attendais Almodovar, l’enfant terrible de la Movida, c’est sur l’autre thème de son film : l’héritage empoisonné de la Guerre Civile et du Franquisme sur l’Espagne d’aujourd’hui. Sauf erreur, jamais il n’avait abordé frontalement cette question. Il filme une société espagnole encore déchirée, plus de trois générations plus tard, une société espagnole qui n’a jamais soldé ses comptes, jamais purgée du franquisme, minée par la rancœur et le chagrin. Il filme aussi une jeune génération qui ne prend pas la mesure de la question et balaye le sujet d’un « C’est vieux tout ça », peut-être parce que l’Ecole se garde bien de faire son travail de mémoire.
Janis est l’héritière d’une famille républicaine marquée dans sa chair, Ana est la fille d’un homme clairement de droite traditionnaliste, l’affrontement était inévitable, et c’est à ce moment là que l’autre bombe explose : les deux thèmes sont liés, ils se répondent.
Dans « Madres Paralelas », tout le dernier quart d’heure du film est consacré à l’excavation d’une fosse commune dans un village de Navarre. Ces 15 minutes, à la limite du documentaire, sont bouleversantes et montrent sans fard ce qu’est une guerre civile : des familles déchirées, des bourreaux jamais punis, des deuils impossibles, des fosses communes, des squelettes qui ont encore des chaussures aux pieds et du fil barbelé atour des poignets, des famille qui brandissent des vieilles photos de parents volatilisés, torturés, exécutés. La Guerre Civile est un cancer pour la société espagnole, un cancer qui sommeille sous une cicatrice mal refermée. Il était temps qu’Almodovar s’empare de cette question, lui, le cinéaste espagnol le plus connu au monde. La dernière image de « Madres Paralelas », contrairement à son titre, ne montre pas des mères, mais des pères, des fils, des frères, des maris. Le cinéma espagnol n’en n’a pas terminé avec la Guerre Civile et le Franquisme. Almodovar apporte enfin sa petite pierre au travail de mémoire, espérons que d’autres suivront.