Il ne s’arrête toujours pas, même avec l’exquise prestation de son « Douleur et Gloire ». Pedro Almodóvar (Tout sur ma mère, Volver, La Piel que Habito, Julieta) ne se tortille donc pas comme Salvador Mallo et préfère concentrer son attention sur les mêmes thèmes familiaux qui l’habitent. Mais on aura beau revenir vers son cinéma, rien ne sera définitif avant de s’y être totalement imprégné. Loin du conformisme qui le répugne, il laisse une fois de plus son œuvre et ses interprètes exprimer sensibilité et sensualité. Au détour d’une plaie franquiste ouverte, le cinéaste cède volontiers la grande partie de son récit au portrait de la maternité, en nuançant les doutes et une culpabilité, imbibée d’une essence hitchcockienne, jusque dans la musique d’Alberto Iglesias.
Nous retrouvons de nouveau Penélope Cruz, dans la peau de Janis, une mère dont le destin se fige sur deux temporalités, d’abord celles de ses aïeux, puis celle qui la rapproche de sa voisine d’accouchement. La révélation Milena Smit campe alors une Ana adolescente, qui ne se satisfait pas pleinement de sa condition. Impériales dans leur partition, elles véhiculent ce sentiment affectif, qui suit le merveilleux événement, jusqu’à ce que le drame se déclare. Ce qui ne se fait pas d’ailleurs dans la plus grande subtilité, mais l’on pardonnera ces longueurs, dont le ressenti est un mélange de tensions, dues à des choix esthétiques convenus, mais toujours efficaces. Le cadre fascinera sans doute moins et c’est compréhensible. La fouille d’Almodóvar se situe davantage dans l’hors-champ et dans le silence de ses personnages, qui couvent une grande vulnérabilité.
Arturo (Israel Elejalde) est un père confus, tandis que Teresa (Aitana Sánchez-Gijón) est une mère dont le jeu blesse la volonté de sa fille. Mais comme nous avons là deux environnements sociaux qui s’enlacent, on cherche inévitablement le relai dans l’intimité de chaque individu, qui influe nécessairement sur l’autre. Et dans cet élan patrimonial, il convient de resituer la dette de la société espagnole vis-à-vis d’une génération qui attend l’hommage comme intérêt. Dommage que l’on ne développe pas assez le sujet, au lieu de la laisser clôturer l’intrigue, comme une sorte d’extension des traumatismes vécus par ces mères accidentées. Janis, qui s’investit à immortaliser l’instant à travers son objectif, est à l’image de ses œuvres, ponctuelles et qui appartiennent déjà au passé. Seul son nouveau-né lui procure la sensation d’avoir du contrôle sur l’avenir, un avenir qu’elle devra cependant apprécier avec parcimonie, pour ne pas oublier son initiative anthropologique.
Si « Madres Paralelas » ne flamboie pas à tous les niveaux, le film reste rigoureux dans son portrait, teinté d’une signature cinématographique qu’on reconnaît à Almodóvar. Mais comme chaque aventure impromptue, il existe des zones d’ombre qui inviteraient d’autres spectateurs à passer outre cette réflexion sur la transmission et la mémoire, simplement parce qu’elles nous apparaissent comme une surcouche épaisse. Peut-être que l’ensemble reste à mûrir en soi, mais dans l’esprit du réalisateur, c’est déjà une forme d’apaisement.