Il est peu de cinéastes dont la patte se reconnaît au premier coup d’œil. Certains se donnent pour objectif de déconcerter le spectateur en changeant de style ou de thème à chaque nouvelle production, d’autres demeurent inexorablement fidèles à une manière et à des thèmes identiques. Pedro Almodóvar appartient à la seconde catégorie et nul ne s’en plaindra, à l’exception de quelques ronchons qui prennent plaisir à cultiver leur acrimonie et à jouer les délicats.
Deux femmes, l’une d’âge mûr, Janis, l’autre, Ana, à peine sortie de l’adolescence, se trouvent confrontées à la même situation : toutes deux, voisines de lit dans une maternité madrilène, s’apprêtent à accoucher, l’une se réjouissant à l’avance de la naissance à venir, l’autre encore sous le coup du remords et de la culpabilité. Tout devrait bien se passer – du moins à peu près, mais voilà : Almodóvar aime le mélodrame, et par conséquent rien ne se passera comme prévu.
Dans le même temps, le compagnon de Janis, Arturo, brillant anthropologue, vient d’obtenir le permis d’excavation d’une fosse commune où a été enterré l’arrière-grand-père de Janis durant les sombres années du franquisme.
Aussi le cinéaste nous propose-t-il deux itinéraires féminins qui se croisent, l’un d’ordre individuel, l’autre d’ordre collectif, mais qui tous deux ont à voir avec la notion d’identité et de mémoire. Bien sûr, la sexualité joue un rôle non négligeable dans le film et il ne saurait en être autrement chez Almodóvar. On aura donc reconnu des thèmes fétiches de l’œuvre du plus grand cinéaste espagnol d’aujourd’hui. Et l’on ne s’en plaindra nullement.
Toutefois, si l’itinéraire personnel des deux femmes est filmé en intérieur, l’aventure collective l’est en extérieur. Or, nul doute que le cinéaste soit plus à l’aise à filmer dans des appartements de la capitale où les couleurs les plus vives jaillissent avec les superbes contrastes auxquels il nous a habitués que dans une campagne aride où les tons sont d’une austérité désespérante.
Il n’empêche que la dernière séquence est d’une beauté inédite et n’est pas sans rappeler certains plans de Buñuel : Almodóvar nous impose un rendez-vous cru et d’une indéniable force avec la mort comme avec la mémoire d’un peuple martyr.
Parler d’un film d’Almodóvar sans parler des actrices serait bien sûr un irréparable oubli et l’on ne peut qu’admirer une fois de plus la manière toute fusionnelle que le cinéaste adopte pour filmer les femmes. En tout premier lieu, Penélope Cruz, l’égérie tant de fois mise en scène et filmée avec amour en plans rapprochés ou en gros-plans (Almodóvar-Bergman : on a souvent fait le rapprochement). Et de fait Penélope irradie de beauté et de force intérieure. Sa partenaire en revanche, Milena Smit, est une inconnue, du moins dans la filmographie du cinéaste espagnol. Moins à l’aise que son aînée, elle triomphe cependant dans sa métamorphose aussi inattendue que réussie.
Et puis revoir Rossy de Palma fait toujours notre joie, même lorsqu’elle est cantonnée à un rôle secondaire. Quelle présence ! Quelle invraisemblable personnalité ! Littéralement elle crève l’écran.
Enfin ce serait une coupable injustice que de ne pas mentionner Israel Elejalde qui incarne Arturo, le compagnon de Janis, et qui a bien du mérite à s’imposer au milieu d’une distribution si admirablement féminine. Pas toujours facile pour les hommes de s’imposer dans les films d’Almodóvar, à moins qu’il ne s’agisse d’Antonio Banderas, autre figure habituelle du réalisateur.
Si Madres paralelas n’est sans doute pas l’œuvre la plus marquante de la filmographie du grand Pedro, il vaut la peine incontestablement de découvrir le dernier opus du cinéaste pour au moins deux raisons : la qualité de l’interprétation et la beauté des scènes d’intérieur. Almodóvar est un cinéaste majeur : qui oserait en douter ?