A ceux qui n’auraient jamais lu le pavé de Balzac (et je m’inclus parmi ces béotiens), ‘Illusions perdues’ évoquera bien d’autres classiques français du 19ème siècle, ‘Bel ami’ de Maupassant par exemple, avec son provincial qui monte à Paris pour se faire un nom et doit bien vite déchanter et s’adapter à la réalité impitoyable de la capitale, où règnent snobisme, persiflage et mépris de classe. Une fois de plus, pour faire passer le maximum d’informations de contextualisation, sans lesquelles pas mal de clés de compréhension sociales et culturelles passeraient à la trappe pour le plus grand nombre, la voix off est abondamment utilisée : c’est toujours un peu dommage mais après tout, il s’agit du corollaire inévitable des films construits sur une base littéraire historique et qui s’efforcent de ne pas trahir celle-ci trop souvent. De plus - je ne vais pas dire “pour une fois” mais enfin, ce n’est pas si fréquent que ça - la direction artistique n’a rien de misérable et dans les salons, les cabarets, l'opéra ou les rues, la reconstitution de cette France de la Restauration est faite pour qu’on y croit et c’est une excellente nouvelle. Si le film reste globalement très académique, Giannoli a consenti à quelques trahisons mineures de l’intrigue imaginée par Balzac, afin de relier ce petit monde parisien des années 1820 à celui d’aujourd’hui et de démontrer que les choses n’ont finalement que peu changé en deux siècles : le coeur de l’intrigue est l’apprentissage par le naïf Lucien de Rubempré de la collusion de la presse avec le pouvoir et l’argent. Cette presse dite “libre” ne défend une coterie politique que pour mieux la trahir si ses adversaires lui offrent davantage et se montre toujours prête à encenser ou à détruire chaque création artistique née sur le Boulevard du Crime pour autant qu’elle y trouve son intérêt économique, avec le recours à des moyens aussi surréalistes que les “applaudisseurs” ou “hueurs” à louer. Le réalisateur fait feu de tout bois de cette époque où le culte de l’argent a remplacé les valeurs de l’ancien régime, notamment à travers une petite remarque perfide sur les banquiers qui pourraient un jour entrer au gouvernement. L’ascension et la déchéance, moralisées comme le 19ème siècle l’exigeait, constituent de toute façon un excellent écrin scénaristique, et il me restera de cette très bonne adaptation, le constat que Xavier Dolan est un excellent et très charismatique acteur à défaut d’être un réalisateur qui me passionne (ça tombe bien, il arrête) et d’une petite révélation cinégénique (et belge) en la personne de Salomé Dewaels.