"Les films sont comme des rêves que l'on n'oublie jamais." dit sa mère à Sam afin le rassurer.
Lors des vacances de Noël de 1952, attristé d'habiter dans la seule maison sans lumières multicolores de son quartier (pour cause de célébration de Hanukkah), le petit garçon fébrile s'apprête à être illuminé par être expérience qui va bouleverser le reste de son existence : son premier film au cinéma.
En compagnie de ses parents aimants, Sam est transcendé par le choc de cette projection fondatrice et, plus particulièrement, par une des séquences marquantes de "Sous le plus grand chapiteau du monde" qui ne cesse de le poursuivre une fois rentré chez lui. Grâce à l'appétence pour les rouages de la technologie moderne de son père et la compréhension des bienfaits de l'art sur l'âme de sa mère, Sam trouve sa première catharsis dans la bulle réconfortante d'illusions et d'émotions qu'il peut maîtriser derrière l'objectif d'une caméra. Ce premier contact entre le cinéma et cet enfant qui deviendra, au cours de cette oeuvre semi-autobiographique, le faiseur de rêves hollywoodiens numéro un au monde ne sera en réalité que l'acte premier de son futur destin de réalisateur renommé, avec la construction de son rapport à l'image et à ce qu'il entend en délivrer à autrui.
Vivant une jeunesse finalement assez banale de petit américain juif dans l'Amérique des années 50-60, Sam va en effet, au gré de divers tracas familiaux, se retrouver confronté aux conséquences parfois tout autant bénéfiques que dévastatrices de sa passion. Des vérités passées sous silence pouvant se mettre à hurler derrière la captation naïve du quotidien à la transmission d'un idéalisme capable de se détourner d'une triste réalité pour inspirer son prochain, en passant par un lot de références pionnières et à venir d'oeuvres incontournables, "The Fabelmans" se montre remarquable pour retracer la route de cet enfant qui n'aura cessé de se forger en conjuguant sa compréhension de tout ce que peut recouvrir le cinéma à ses tourments existentiels, souvent provoqués par les êtres qui lui sont le plus proches. Bien entendu, entre la scission d'aspirations parentales contraires, des rencontres essentielles, des premières expériences lycéennes mouvementées ou des relents d'antisémitisme prononcés, cette construction se base sur des événements qui, en termes d'épreuves d'enfance, n'offrent pas des aspérités uniques en la matière mais il faut bien reconnaître que la corrélation permanente qui en est délivrée par le cinéaste sur les propres développements de sa personnalité, de son regard de conteur aujourd'hui connu de tous, forment une œuvre unique tenant tout autant d'un regard introspectif touchant qu'une proclamation définitive de l'amour de son métier.
Dans le sillage d'un tout aussi intime mais plus orienté socialement "Armageddon Time" de James Gray, l'auto-psychanalyse cinématographique d'un talent comme Spielberg est évidemment sublimée par le don de mise en scène de son propre patient qui en tire des merveilles de plans, de transitions, d'idées de scènes-miroirs, d'oscillements entre la légèreté et le drame, de reconstitutions de tournages amateurs, de clins d'oeil complices au spectateur (cet ultime mouvement de caméra plein de malice, bon sang)... Mais aussi grâce à des acteurs qui brillent sous sa lumière bienveillante, à commencer par le couple Fabelman lui-même, mention spéciale à une époustouflante Michelle Williams, figure maternelle passionnée engloutie par ses fêlures, face à un toujours aussi brillant Paul Dano (côté incarnation de Sam, on retiendra surtout sa version adolescente à laquelle Gabriel Labelle prête ses traits, celle enfant semble sortir tout droit d'une publicité Kinder).
Film éminemment important pour son cinéaste, "The Fabelmans" atteint-il pour autant le statut de pièce maîtresse de sa filmographie ? Par son propos et la manière dont il s'y dévoile, il est clair que, oui, ce long-métrage y tiendra forcément une place particulière mais, outre des instants de jeunesse qui, dépouillés de toute la saveur offerte par cette connivence "psycho-cinéphile", ne sont pas à proprement parler uniques en leur genre, il faut bien noter que certaines séquences marchent parfois bien moins que d'autres.
Comme, par exemple, cet ultime face-à-face entre Sam et un des caïds du lycée, séquence pivot bien sûr intéressante par son objectif de montrer la genèse de l'optimisme -pour ne pas dire l'idéalisme- inhérent au cinéma de Spielberg mais qui, à l'écran, se traduit par une écriture trop facile, que ce soit par le changement soudain de caractère de cette brute longtemps présentée comme irrécupérable (et au Q.I équivalent à celui d'un bulot enragé) et que l'on découvre en train de se poser des questions profondes ou bien par les répliques impossibles qu'on lui met aux lèvres pour y parvenir... Ce moment du film apparaît tellement surréaliste, juste opportunément placé là pour servir un intérêt supérieur dont la signification est pourtant louable, qu'il en devient risible.
Certes, ces maladresses se comptent sur les doigts d'une main dans "The Fabelmans" et, si ce n'était pas Spielberg, une part plus grande d'indulgence aurait sans doute été de mise... Mais il s'agit de Steven Spielberg justement, un maître en train de nous raconter ses balbutiements, et vis-à-vis duquel une suspension de crédibilité autour d'un point aussi crucial ne peut être décemment pas demandée à un public qui le connaît si bien et le sait capable de si mieux pour nous faire comprendre ce message.
En cela, pour ce qu'il représente de la part de son auteur et ce qu'il cherche à transmettre de son histoire afin de nous éclairer sur son lien fusionnel au cinéma (et à son cinéma), "The Fabelmans" est un très beau film à évidemment recommander mais peut-être pas le point culminant tant escompté d'un réalisateur aussi exceptionnel.