Je ne suis pas sure de moi dans bien des domaines, mais je crois que je sais reconnaitre un bon film quand j’en vois un ! Et je viens de voir un très bon film. Steven Spielberg aura filmé la famille décomposée, recomposée, malmenée, symbolique dans quasiment tous ses films, c’est une obsession chez lui, mais c’est la première fois qu’il filme sa famille. C’est une fausse autobiographie que « The Fabelmans », mais il y a beaucoup de son enfance dans ce film, dans cette passion du cinéma, dans cette famille nombreuse, un peu bohème, heureuse, et qui se délite peu à peu. Le film dure 2h30 mais je n’ai pas vu le temps passer. Et comme souvent chez Spielberg, il y a des scènes assez génialement construite. La plus marquante pour moi est une scène sans dialogue pendant laquelle Samuel monte un film de famille : il découpe, visionne, revient en arrière
et découvre soudain, image après image, que sa mère est amoureuse du meilleur ami de son père. Son œil ne voulait pas le voir, la caméra fait exploser la vérité si fort que c’est un véritable choc et qu’il refusera de filmer quoi que ce soit pendant un long moment, comme si elle lui faisait peur.
La façon dont Spielberg filme ce moment charnière du film et de l’histoire de Samuel, (et donc de son histoire) est étourdissante dans tous les sens du terme. Des scènes un peu surréalistes il y en a quelques une (la jolie fille qui veut convertir Samuel à Jésus Christ, la rencontre de fin avec John Ford…), elles sont décalées et drôles, mais ces scènes de comédie ne dénaturent pas l’immense poésie qui se dégage du film. Ce film est une déclaration d’amour au cinéma, pas une déclaration d’amour de cinéphile intellectuel pétri de certitude, mais une déclaration d’amour au cinéma populaire, celui qui bricole les effets spéciaux, filme les histoires simples, celui qui voit grand. Habillé de la musique de John Williams, Steven Spielberg nous offre sa vision toute personnelle du cinéma, le tout magnifiquement filmé, en intercalant à intervalles à intervalles réguliers les vrais films amateurs du jeune Samuel comme autant de petite sucreries. Il a l’ultime bonne idée de confier les rôles principaux de son film à des acteurs qui ne sont pas des stars et à part Michelle Williams, je n’en connaissais aucun auparavant. Ah si, David Lynch, autre « fou » de cinéma, vient faire un caméo de fin tout à fait inattendu et assez drôle. Gabriel LaBelle, Paul Dano ou Seth Rogen sont épatant mais qu’il me soit permis de faire une mention spéciale à Michelle Williams. Elle compose une maman merveilleuse, une artiste coincée dans un corps de mère de famille, fantasque et bienveillante, qui fera l’impossible pour sauver son mariage, jusqu’à mettre en danger sa propre santé mentale. Faut-il aimer sa mère d’un amour fou pour filmer une maman comme Mitzi Fabelman ! Michelle Williams est merveilleuse, souvent bouleversante (surtout dans les moments clefs du film), elle irradie « The Fabelmans » et trouve peut-être là son plus beau rôle à ce jour. Le scénario s’arrête pile au moment où le jeune Samuel commence sa carrière à Hollywood : le film aura commencé avec Samuel devant un écran, il se termine avec Samuel sur point d’entrer dans la plus grande usine à film du monde. En temps, il aura filmé, monté, projeté, encouragé par sa mère et sous le regard dubitatif de son père qui s’obstine, en homme de science, à penser que le cinéma n’est qu’un hobby et pas un métier. Il aura filmé le délitement de sa famille et aura rencontré l’antisémitisme pour la première fois au lycée en Californie. Malmené par deux petites frappes antisémites, il se venge caméra au poing.
J’adore cette scène où il filme le héros du lycée à la façon des « Dieux du Stade » de Leni Riefenstahl, avec les mêmes plans et le même type de musique. Evidemment personne ne comprend la référence mais cela met suffisamment mal à l’aise son harceleur pour faire son effet : le pouvoir immense de l’image, toujours...
Il y a une autre scène forte que j’aime bien dans ce scénario, c’est la visite de son oncle.
On ne comprend pas tout de suite combien le discours un peu étrange que cet oncle lui tient va sceller son destin, lui-même ne le comprends pas immédiatement non plus et pourtant, avec le recul, cet oncle Boris, fantasque et un peu lunaire, enfonce le clou de la vocation de Samuel d’un coup de marteau sec et définitif.
En fait, l’enfance et l’adolescence de Samuel est montrée comme une succession de tournants qui forgent, doucement mais fermement, cette certitude de devoir passer sa vie derrière la caméra. Steven Spielberg nous offre avec « The Fabelmans » sans doute son film le plus personnel. Mais ce film est aussi un nouveau prisme de lecture, pour relire toute sa filmographie. On se rend soudain compte que même quand il filmait des extra terrestres, des soldats qui débarquent en Normandie ou un père et son fils à la recherche du Graal, il nous offrait des films qui parlaient aussi de lui et de son histoire.