Le dernier né de l’écurie Joel et Ethan Coen ne déçoit personne, entraînant dans sa course mélancolique et comique un public depuis longtemps conquis par le tandem de réalisateurs. S’il n’est pas le plus rythmé de leurs films, s’il n’est pas non plus le plus culte, le plus charismatique, il n’en reste pas moins qu’Inside Llewyn Davis est très habilement mis en scène, tout portrait intimiste et glaçant qu’il est d’un exemplaire unique de looser. Alors que la thématique était pour le moins casse-gueule, la musique Folk de Greenwich Village, l’Amérique de petits traînes savates, les frères Coen livre un film exemplaire qui répond d’une propension chez eux à dresser les portraits de marginaux, tantôt désespérés tantôt complaisants face à leurs modes de vies toujours bancals. Voici donc le portrait d’un artiste qui n’arrive pas à percer, qui erre de bars en bars, de canapé en canapé en traînant avec lui toute sa malchance, toute sa mauvaise volonté.
Si Llewyn Davis ne parvient pas à vendre de disque, en solo, il ne parvient pas non plus à subvenir à ses besoins, à être un père acceptable, quelqu’un en somme. La force du film des frères Coen tient ici au fait que malgré cette déchéance sociale, le ton est toujours soit ironique soit comique. Les dialogues sont une fois encore aussi bien écrits que la qualité des plans est clairement au dessus de la moyenne. Lauréat du prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2013, Inside Llewyn Davis marque une nouvelle démonstration technique et narrative de la part des deux réalisateurs, sans doute parmi les plus doués, inspirés, de leur génération. Si le duo n’aura, au long de leurs carrières, pas fait tout juste, d’où quelques ratés, l’ensemble de leur filmographie est un immense bonheur auquel l’on peut dès lors créditer un film semi-musical aussi puissant, voir plus encore, que l’excellente Crazy Heart de Scott Cooper.
Alors que l’on retrouve quelques vieux acolytes des cinéaste, l’excellent John Goodman ou encore le plus discret Murray Abraham, les frères Coen font cette fois-ci confiance à un casting plus jeunes, plus hétéroclite. Outre les petits rôles de Justin Timberlake et Carey Mulligan, c’est bel et bien une consécration pour Oscar Isaac, acteur entre-aperçu dans Drive. L’acteur d’origine guatémaltèque livre une prestation phénoménale tant il parvient à jouer aussi bien la tristesse, le désespoir que la joie et l’entrain. Plus fort encore, le personnage de Davis est absolument imprévisible, tant et si bien qu’à la sortie d’un sourire, Oscar Isaac parvient d’emblée à faire vivre dans les traits de son personnages la colère ou l’amertume. Le jeune comédien prend dès lors une place considérable dans le succès du film des deux cinéastes.
Coté mise en scène, celle tant récompensée à Cannes, la photographie, les plans, tout est excellent. Qu’il s’agisse des quelques séquences large sur le décor naturel d’une Amérique passée ou qu’il s’agisse des plans fixes sur le chat, notamment, les frères Coen offrent un travail prestigieux à leur public. Il convient toutefois d’y apporter quelques bémols. Aussi bon soit-il, Inside Llewyn Davis peine à dépasser sa condition de simple comédie noire. Qu’en de très rares occasions un film n’aura été si bon sans pour autant transcender son simple pitch. Si musicalement, le film est un pépite, soyons clair, ceci n’est pas le cas d’un strict point de vue divertissement. Alors que No Country for Old Men, Fargo ou encore True Grit sont devenus des films de légendes, Inside Llewyn Davis, lui, s’inscrira plutôt dans la veine d’un A Serious Man. Dès lors, aussi bon soit-il, le dernier film des frangins ne pourra rivaliser avec leurs meilleures livraisons. Celui qui en profitent pleinement, c’est bien Oscar Isaac, et soyons certain que c’est mérité. 15/20