Le titre l’indique d’emblée, ce film est à prendre au second… voire au 10 000ème degré !!
A l’aide d’extraits des chronophotographies d’EJ Marey, Leos Carax s’amuse, amuse et nous prévient littéralement, il tire sur la corde ! « Holy Motors » est une comédie provocatrice, à l’humour très littéral, critique d’un monde urbain clôt, voyeur, régi par les machines, et surtout une immense digression sur le métier d’acteur qui cache une quête plus profonde : qui est l’homme ?
L’entrée en matière onirique esquisse, en trois scènes, les axes du film : questionnement profond sur le rôle de l’image, l’homme acteur ou spectateur (de sa vie), la place des machines : jungle urbaine et nostalgie de la nature.
Un regard de cinéaste qui dissèque l’être humain
Ce qui m’a interpellé en premier lieu, c’est cette utilisation très pertinente de la chronophotographie. Ces prises de vue par « fusil chronophotographique » visaient à la base l’étude du mouvement de corps en projetant au ralenti les photogrammes. Ce fusil qui est à l’origine de la caméra devient par extension l’origine de la société de surveillance et de paranoïa actuelle, du moins telle qu’elle apparaît dans le film.
Étrange d’ailleurs le sentiment de violence lié au voyeurisme des caméras prend tout son sens en évoquant ce fusil originel… Que l’on entend tirer au deuxième plan sur une salle de cinéma remplie de spectateurs !
Un film, un acteur, des vies à multiples résonances
Carax nous décrit une vie multiple à travers un personnage masculin prêt à se métamorphoser de toutes les façons pour des « rendez-vous », on ne peut que saluer la prestation d’un Denis Lavant érigé au rang de modèle humain, certes sans personnalité propre, mais un acteur prêt à incarner toutes les vies « pour la beauté du geste ».
LA scène clé du film pour moi est la rencontre de ce personnage central, M. Oscar, avec Théo qui s’avère n’être autre que son double, où comment résumer « Persona » de Bergman en quelques minutes sur le mode comique à coup de meurtre sanglant… Carax nous en fait une brillante démonstration !
Ainsi est clairement posée la question « qui sommes-nous ? » Avons-nous une personnalité par défaut où jouons-nous notre propre rôle ? Le personnage de Denis Lavant, acteur d’un nouveau genre, dit regretter les caméras. Si la beauté est dans l’œil de celui qui regarde, il s’afflige de ne plus être regardé. Pour qui jouons/vivons-nous ? Ses mystérieux rendez-vous seraient-ils uniquement un moyen pour un ancien acteur de continuer à vivre mille vies pour lui-même ?
Ses métarmophoses incessantes qui nous dévoilent les secrets des maquillages de cinéma marque ce besoin vital d’une seconde peau, à l’image du personnage d’Edith Scob qui, au moment de rentrer chez elle se pare le visage d’un masque neutre.
« Notre vie va changer »,
Tel est le mantra des hommes à bout de souffle, en perpétuelle quête de meilleur, en perpétuel mouvement, tiraillé entre le besoin de vivre intensément, d’optimiser chaque instant et un instinct animal vers une nature domptée.
M. Merde, personnage désormais récurrent chez Carax, incarne cet instinct animal, ce faune des villes qui sévissait déjà dans le film « Tokyo » porte à lui seul la dimension ironique du film, courant à travers nos tombes qui, au lieu de nos noms, afficheront bientôt les url de nos sites web, dernière trace de notre passage sur terre !
La place de la femme dans tout ça ? Elle fait rêver ! Ancienne danseuse devenue chauffeur, immense blonde contortionniste moulée dans du latex rouge, mannequin-poupée à voiler, petite fille dont la punition est d’être elle-même puisqu’elle ne sait pas être « à l’aise », guenon… Seule Jean (Seberg ?), alter ego féminin de M. Oscar, interprétée par une Kylie Minogue aérienne, apporte un peu d’émotion à notre héros caméléon.
« Les hommes ne veulent plus de moteur ni d’action »,
s’éplore une limousine lors de la séquence finale.
A la manière d’un enfant qui joue avec ses petites voitures, Carax donne la parole à ces machines qui s’effraient de ne plus être un jour le moteur de la société.
Le parking « holy motors » sera-t-il bientôt un cimetière ? La sacralisation de la limousine évoluant tel un vaisseau ne peut que nous évoquer l’Amérique modèle même de cette société technologique dans laquelle l’homme s’est enfermé lui-même, plaçant la machine au rang de Dieu.