Difficile de mettre une note à un film tel que celui-là, qui malgré le lien créé par la limousine a tout de la structure (elle aussi surannée) du film à sketchs, tant y alternent le bon et le (très) mauvais. Difficile aussi de mettre une mauvaise note malgré le résultat bancroche de l'ensemble, tant ce "Holy Motors" porte la marque d'une sincérité amère et touchante, et tant il semble courageux de continuer de faire un tel film à l'heure du numérique, de la 3D et du montage clipesque. C'est sans doute cette sincérité et ce courage qu'ont voulu encourager les critiques (français) de Cannes qui lui promettaient la palme. Moins touchés par le destin de l'enfant maudit du cinéma français, le jury international lui a préféré des films de leur temps, et sur allociné les critiques des spectateurs plafonnent à 2,9/5 (alors que celles de la presse culminent à 4,4), sans parler les dix spectateurs qui ont quitté la salle de l'UGC Défense.
Projeté à Cannes juste après "Cosmopolis", "Holly Motors" partage avec le film de Cronenberg la limousine errant dans la ville et les prétentions philosophiques d'un autre âge. Si Robert Pattinson tourne dans New York congestionné par la visite du Président sous un prétexte futile (aller chez son coiffeur) et en réalité pour rejoindre la menace qui pèse sur lui, Denis Lavant évolue dans Paris avec une feuille de route bien précise, ses "rendez-vous" notés par Céline, son chauffeur-secrétaire jouée par Edith Scob à qui il fait porter 53 ans après son masque des "Yeux sans visage". Ce parcours semble épouser la carrière et la vie de Leos Carax, puisqu'on y voit, entre autre, le retour de M. Merde vu dans le segment signé par Carax dans "Tokyo !" en 2008, et une plongée sur le Pont-Neuf en arrière-plan des retrouvailles amères d'anciens amants...
Les messages sont cousus de cable blanc : Leos Carax lui-même qui se lève et ouvre une porte sur le mur de sa chambre qui donne sur un cinéma dont les spectateurs nous regardent, Monsieur Oscar qui réplique à son commanditaire, joué par un Michel Piccoli délibérément méconnaissable (coquetterie digne de Terry Gillian empaquetant Robert de Niro dans une combinaison de videur de merde ou de Polanski défigurant Jack Nicholson à la deuxième scène) "Je continue comme j'ai commencé, pour la beauté du geste", Alex tuant Théo avant de le déguiser en Alex qui à son tour tue Alex, ou encore les limousines parlantes qui évoquent leur peur de se voir remplacer par les hommes qui ne veulent plus d'action. On l'a compris, puisque Carax a mis treize ans à pouvoir tourner à nouveau, avec lui c'est tout le cinéma qui meurt.
Dans tout ce galimatia, il y a du très chiant (la capture motion, le père et sa fille), du très ridicule (un photographe en short et sandales qui ressemble à Rohmer shoote une Eva Mendes cadavérique dans un cimetière où est écrit sur chaque tombe "visitez mon site web", tout en couinant "Beauty, beauty, beauty"), du très indéfinissable (la Pieta priapique) et du très beau (l'entracte, où la caméra précède en traveling arrière Denis Lavant jouant de l'accordéon et déambulant dans l'église Saint-Merri progressivement rejoint par d'autres musiciens dont, transgression subliminale, Bertrand Cantat jouant de l'harmonica à l'arrière-plan, ou encore Kylie Minogue chantant un air nostalgique à la Demy dans la Samaritaine jonchée de mannequins démembrés).
La photographie de Caroline Champetier ressemble à de la nuit américaine, même de jour, et au vu du résultat, on ne peut que s'interroger sur la raison du tournage en numérique qui semble si opposé aux principes-mêmes du cinéma de Carax. Le style lui aussi semble tout droit sorti des années 70; avec des recadrages à la louche et des coups de zoom brutaux. Etonnant que Carax qui a visiblement porté ce projet pendant si longtemps ait finalement réalisé un film aussi peu abouti, qui ressemble presque à long film de fin d'étude, prétentieux et imparfait.
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