Pour les fans du cinéma asiatique (dont je m'honore d'être), découvrir ''Vengeance'' est une véritable surprise. La raison ? Elle est assez simple. ''Vengeance'' propose la rencontre improbable entre deux Johnny. Johnny Hallyday, chanteur et (apparemment) acteur se retrouve ainsi devant la caméra du grand Johnnie To, le maître du polar asiatique. Et autant l'écrire tout de suite, ça ne vole hélas pas très haut.
Quand on se renseigne un peu sur ''Vengeance'', on se rend vite compte que les détracteurs du film s'attaquent en premier lieu au jeu de Johnny Hallyday. Ces derniers ont en partie raison. Rappelons que ce film, comme l'indique si finement son titre, raconte une histoire de vengeance : Francis Costello, à la suite de l'agression sauvage de sa fille et des meurtres de son gendre et de ses deux petits-enfants, décide de faire justice lui-même. Aidé par trois tueurs à gages, Costello s'enfonce dans les rues de Macao pour trouver les assassins. Dès les premières scènes, on devine l'absence totale de talent chez Hallyday, qui, face à sa fille gravement blessée (Silvie Testud, trois petits tours et puis s'en va) ne parvient à aucun moment à placer sa voix. Son ton sonne faux et il donne l'impression de réciter un texte platement appris. On devrait pourtant être ému face à cette rencontre. Et bien non : Hallyday et son personnage semblent se foutre complètement de ce qui se passe sur l'écran. Par ailleurs, et c'est encore plus grave, rien ne se dégage de ce visage atone : ni émotion, ni rage rentrée, ni mélancolie, ni tristesse. Les directives de To devaient être du genre : « c'est simple, joue comme dans un film de Melville ». Preuve à l'appui : le personnage principal se nomme Costello, comme celui du ''Samouraï'' et c'est d'ailleurs Delon qui devait incarner le héros de ''Vengeance''. En voyant ''Vengeance'', on se rend compte à quel point Melville était un génie et à quel point ses acteurs étaient talentueux. Car Melville et To veulent tous deux que l'émotion naisse chez le spectateur à travers le jeu volontairement indifférent de leur acteur respectif : Delon pour le premier, Hallyday pour le second. Résultat ? L'absence d' émotion chez Delon donne au ''Samouraï'' une beauté froide, quasi irréaliste tandis que cette même absence d'émotion chez Hallyday fige et gâche ''Vengeance''. Mais comment expliquer cet écart de qualité de jeu, pourtant identique entre les deux acteurs ? Bien sûr, le charisme compte beaucoup, mais le plus important est le contexte dans lequel s'inscrivent les deux personnages. On ignore tout du Costello incarné par Delon, il semble n'avoir ni ami, ni véritable attache. De plus, il est clairement établi que Costello/Delon dans ''Le samouraï'' s'apparente davantage à un spectre. Le jeu indifférent de Delon se justifie donc totalement. Et dans ''Vengeance'' ? Costello/Hallyday est un ancien tueur reconverti en cuisinier mais est aussi père et grand-père de famille. On sait donc pas mal de chose sur le bonhomme. Du coup, est-ce vraiment judicieux de le faire jouer comme un personnage melvillien ? Non, car on ne croit jamais à ce personnage complètement monolithique, qui, face à ce qui se passe, devrait au contraire ressentir quelque chose. En plus de cela, le caractère du protagoniste qu'incarne Hallyday submerge le spectateur, qui, lui aussi, se met à être indifférent à tout. Et quand le spectateur, face à une histoire de vengeance, se contre-fiche complètement de ce qui va arriver , c'est que le réalisateur et le scénariste (Wai Ka-fai, scénariste et co-réalisateur des moins bons To : ''Fulltime Killer'' et ''Mad detective'') n'ont pas réussi à créer l'empathie et la fascination chez le spectateur.
Peux-t-on sauver un film quand l'acteur principal est désastreux ? Oui, malheureusement, ce n'est pas le cas ici. En supposant que Delon ait accepté le rôle, pas sûr que le film aurait mérité le qualificatif de ''bon''. Parfois, quand les critiques se lassent d'un réalisateur, ces dernières le décrète ''caricature de lui-même'' (voir ce qui a été très injustement dit sur ''Les 8 salopards'' de Tarantino). Cette expression est selon moi à prendre avec des pincettes. Il est normal après tout qu'un réalisateur, une fois son style posé, fasse des films fondés sur sa propre approche cinématographique. Simplement il ne faut pas que la patte du réalisateur asservisse les idées. Le style du réalisateur doit se mettre au service des idées ; il ne doit pas faire tout un film, uniquement être l'un des atouts du film. Ainsi, dans ''Vengeance'', on identifie la touche To, située dans la chorégraphie des fusillades (gunfight, comme on dit aujourd'hui) et dans le rythme presque contemplatif que prend cette œuvre. Mais tout cela pour quoi ? D'une banale histoire de vengeance avec des protagonistes caricaturaux au possible. Les intrigues annexes (comme l'amitié naissante entre Costello et les trois tueurs à gages), elles, sont à peine effleurées. En fait, c'est la première fois chez To que j'ai un sentiment de déjà-vu. Du déjà-vu issu de films réalisés par d'autres (Costello perd la mémoire et doit utiliser des polaroids à la manière d'un Leonard Shelby dans ''Memento'' de Nolan, réalisé en 2000) ou réalisés par Johnnie To lui-même (une scène de pluie où prolifère les parapluies rappelle forcément une séquence identique dans son réjouissant ''Sparrow'', sorti un an avant ''Vengeance''). Et, à part deux séquences assez brillantes (une fusillade de nuit et une fusillade près d'une décharge), l'ensemble ne fonctionne pas. On ne ressent rien et on s'en fiche un peu.
''Vengeance'' est en conclusion un double échec. L'échec est pour Hallyday (qui ne vaut rien en tant qu'acteur) et pour To qui, servi par un scénario minable, ne fait que ressasser des effets de mis-en-scène déjà présents dans ses œuvres précédentes. Heureusement, ''Vengeance'' peut-être vu comme un simple incident dans la carrière touffue de Johnnie To, lequel retrouvera son brio avec le passionnant ''Drug War'' (sorti quatre ans plus tard, en 2013). Pour le reste, ceux qui furent déçus par ce film (et il y en a beaucoup) auront tôt fait de se repasser ''Exilé'' (2006), l'un des meilleurs films de Johnnie To.