"Ca veut dire quoi, se venger, quand on a tout oublié ?", demande un des tueurs engagés par Costello quand il constate que son commanditaire a perdu la mémoire, séquelle d'un balle restée dans le cerveau. Initialement, le scénario prévoyait que Costello était atteint de la maladie d'Alzheimer, et c'est semble-t-il ce détail qui a rebuté Alain Delon, trait d'union pourtant tout désigné entre le Jeff Costello du "Samouraï", et le Francis Costello de "Vengeance", qui précédera le remake du "Cercle Rouge" dans la filmographie de Johnnie To.
L'influence de Jean-Pierre Melville ne se limite pas à cet emprunt patronymique, ni même à la dégaine de Johnny Halliday, coiffé d'un doulos qui évoque plus celui de Gene Hackman dans "The French Connection" que les borsalinos de Delon, Bourvil ou François Périer. On retrouve le même type de personnage taciturne, le goût pour les scènes nocturnes et les néons, la photographie un peu grise et surtout l'indolence du rythme, zébré par des éclats de violence.
"Vengeance" est un film étrange, parlé en français, en anglais et en chinois, mais surtout très peu dialogué, avec la reprise des codes du polar et aussi ceux du western, comme dans la scène où Costello et ses trois complices tombent sur leurs proies en train de pique-niquer en famille. Etrange, à cause d'une impression de bric et de broc due à de nombreuses ruptures de rythme et à de brusques changement de style, à l'image du jeu de Johnny qui sonne plus juste en muet qu'en anglais, et en anglais qu'en français.
La stylisation à outrance fonctionne mieux pour certaines scènes que pour d'autres : dans la première catégorie, celle où Costello écrit Vengeance sur les photos d'identité judiciaire de ses proches avant de les jeter sur la moquette de sa chambre d'hôtel, ou celle où les trois compagnons de Costello subissent le siège des membres de la triade qui avancent en se protégeant derrière d'immenses cubes de papier à recycler qu'ils poussent devant eux. D'autres sont nettement plus tartes, comme celle où Johnny joue les yamakasi, celle où il tombe à genoux pour appeler les Mânes de ses disparus et retrouver la force de poursuivre sa vendetta, ou encore la réplique amnésique déjà devenue culte "What is revenge ?".
D'abord très classique (un gangster retiré sort de sa tanière pour venger les siens), l'intrigue bascule quand on découvre que Costello peut à tout moment perdre la mémoire, et on comprend d'un seul coup pourquoi il prend tout le monde en photo avec son polaroïd, à l'instar de Leonard Shelby dans "Memento". A défaut de tatouage sur son corps, l'inscription du nom de celui qui a commandité le massacre sur son Colt lui servira de fil rouge pour aller jusqu'au bout de sa promesse.
D'un intérêt inégal, basé sur un synopsis à la fois mille fois vu et parfois à la limite du surréalisme, "Vengeance" vaut le coup grâce à quelques scènes virtuoses d'un point de vue visuel, et à un retour ironique du boomerang de l'histoire, puisque c'était Johnny Halliday que Melville voulait pour jouer le rôle qui échut finalement à Gian-Maria Volonte dans "Le Cercle rouge".
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