Le genre ne me passionne plus que rarement, et quand on s'intéresse comme moi à l'Histoire et à la sociologie, la fracture devient trop grande entre la réalité de l'Égypte antique et les acteurs occidentaux qui parlent tous anglais. Amenábar voulait faire du grand spectacle et c'est plaisant, mais il aurait fallu faire très fort pour que ça soit convaincant.
Mais si la forme est celle d'un divertissement sans prise de tête, le fond m'a finalement emporté·e grâce au thème du dogme. En effet, à une époque où le christianisme connaissait un grand essor et où paganisme et judaïsme souffraient de la même haine chrétienne, des dogmes étaient en train d'être créés qui allaient définir l'Histoire jusqu'à nos jours ; c'était une ère de remplacement, marquée par la fin du polythéisme égyptien et de l'acceptance culturelle. On a l'impression dans ce film de se jeter à bas d'un précipice dans lequel on tombe encore de nos jours : celui de deux millénaires d'une civilisation occidentale sclérosée par la religion, incapable d'avancée scientifique à cause d'une foi omniprésente et trop souvent fanatisée.
Évidemment la vérité est autre, plus nuancée, et l'on sait par exemple que la vision d'un Moyen Âge obscurantiste et décadent est dépréciée. Mais voir se dessiner si clairement le destin des peuples dans une seule ville qui fut, ironiquement, un symbole de curiosité et d'ouverture d'esprit à l'Antiquité a un côté historiquement horrifique qui fonctionne vraiment bien, comme si on avait perdu ces qualités collectivement et à jamais. La morale étant qu'on ne peut jamais prévoir quel évènement peut constituer un goulot d'étranglement de l'Histoire.
En parlant de science, si le thème du dogme gagne autant ma faveur, c'est qu'Amenábar l'explore dans ce domaine-là également. Les penseurs de l'époque ont beau penser grand et voir large, ils butent sur des problèmes qui nous semblent aujourd'hui triviaux : comment peut-on être attaché à la pureté du cercle au point de croire que c'est la seule forme que peuvent adopter les orbites des astres ? Pendant qu'Hypatie et ses disciples déconstruisent ces idées préconçues qui mettent un mur aux connaissances humaines, des hommes pernicieux en créent de nouvelles, fondées sur la colère et la peur, au prétexte qu'ils sont pieux.
Au final, c'est donc un film sur les extrêmes humains avec une once de folie des grandeurs, mais qui sait en tirer parti.