Agora c'est une plongée vertigineuse dans l'antiquité, dans une cité d'Alexandrie en pleine transition rongée par les rixes de religion. Amenabar regarde cette cité avec des yeux neutres, représentant à merveille la grandeur et l'importance de la Bibliothèque, des places où prennent parole les divers leaders, des salles intérieures où les décisions sont prises, des couloirs étroits où l'intimité est souvent cruelle, et de toute la vie qui accompagne la cité dans son implosion brutale. Car si les bâtiments sont magnifiques, le temps clair, l'apparence radieuse, ce n'est que pour nous surprendre lorsque tout bascule, lorsque les affrontements deviennent plus que verbaux.
La partie d'introduction, nous préparant aux catastrophes à venir, nous montre avec brio quelques personnages appartenant aux diverses religions, partagés entre convictions personnelles et devoir, amitié et amour. C'est de manière très juste que les troubles de ces personnages deviennent de plus en plus incertains. Davus, esclave de la philosophe Hypathie incarnée par Rose Byrne (son meilleur rôle au cinéma, sans aucun doute), est probablement celui qui doute le plus. Entre l'admiration qu'il voue pour sa maîtresse, son amour insatisfait et ses désillusions, son avenir il ne le tient qu'à moitié entre ses mains, incapable de savoir ce qu'il doit faire, incapable de trouver la vérité.
C'est tout le film qui devient une recherche de vérité, symbolisée par cette bibliothèque qui est une source de savoir et de destruction, entre convictions religieuses qui s'éclaboussent les unes contre les autres et thèses scientifiques sur le fonctionnement de l'univers. Finalement dans ce retour en arrière on retrouve des questions qui sont encore d'actualités et qui le seront toujours : savoir le but de l'univers, sa cause et ses conséquences ; et notre place dans ce schéma immense. À mesure que l'histoire progresse les personnages se développent et les traits esquissés en début de film sont alors noircis, forcés, grattant le papier avec une justesse étonnante. Amenabar use et abuse de plans somptueux, qui mettent en valeur les côtés tragiques du film, et qui en font une force émotionnelle qui nous marque durablement. Entre ces tableaux exquis de la cité et ce regard venu du ciel, non pas d'un Dieu, mais du réalisateur, qui se place non pas en juge mais en conteur, pour regarder les hommes courir, se battre, se trahir, se détruire, comme on regarderait des fourmis s'agglutiner sur le sol.
Les deux parties du film, donnant un ensemble d'un peu plus de deux heures, nous font vivre une histoire qui nous montre la faiblesse des hommes, et les conséquences de cette faiblesse ; et nous la vivons pleinement, admirant le travail visuel qui a été effectué et la direction des acteurs, toujours plus efficace. Une passion naît d'elle-même pour le personnage d'Hypathie, cette femme isolée dans une cité de plus en plus sombre, où chacun veut sa perte. L'abandon des personnages, leurs destins, leurs forces, leurs faiblesses, tout est sublimé grâce au travail du réalisateur pour créer ce film colossal qui est bien plus qu'un film mais une véritable expérience ; une réflexion de tous les instants décuplée par une beauté sans précédent.