Ce film est une expérience cinématographique totale où le sens se fractalise dans un tourbillon d'images sonores pour se ramasser en un bouquet d'émotions qui nous soulève vers la grâce. Si Terrence Malick (que l'on compare trop souvent et à tort à Kubrick) est le plus inouï des cinéastes, the Tree of Life est, lui, le film le plus inouï jamais réalisé. Malick, cinéaste rare aux films tout aussi rares, est le philosophe, le théologien et le poète du septième art. C'est aussi le cinéaste de la bonté, de la dignité, de l'amour et plus encore de la grâce. Dès le début du film le ton est donné : il y a deux voies dans la vie, celle de la nature et celle de la grâce. Avec ce film, son cinquième, Malick réinvente encore (déjà avec la Ligne rouge) le cinéma ainsi qu'une nouvelle forme de narration. Dans quel but ? Pour nous. Tout simplement. Ses films sont des dons pour nous. The Tree of Life déroule sa narrativité par scènes impressionnistes virevoltantes et vertigineuses où l'on n'a plus pied tant tout est meuble. Mais dans quel but ? C'est, comme je l'ai déjà souligné, du cinéma total que l'on vit comme une expérience métaphysique, religieuse, spirituelle, poétique, avec cependant une simplicité de vocabulaire, mais sur-enrichis de sens. Malick en effet, l'ancien prof de philo et traducteur du coriace mais génial Heidegger, utilise et maîtrise la méthode phénoménologique aux fins de capter l'essence des choses, des situations, des êtres, des personnes, des corps, des "bougers", des parties de soi. Il interroge l'existential et le catégorial des existences qu'il nous restitue en métaphores à la fois poétiques, picturales et musicales d'une beauté pure qui tourbillonnent et s'enroulent au fil du récit, tels les vitraux spiralés de l'église du film. Mais dans quel but ? Pour notre bonheur, tout simplement. Malick est le pédagogue par excellence, on ressort changé à la lecture de ses films. Il convoque le meilleur de nous-mêmes, il nous évangélise, au bon sens du terme, à la bonté, la fraternité, à l'amour : à la grâce. Ses films sont des thérapies. L'objet the Tree of Life est une beauté pure, c'est une oeuvre d'art et, comme devant toute oeuvre d'art trop moderne, on reste interdit d'étonnement. Car ce film précisément demande plusieurs lectures pour être bien saisi.
Or ce film est surtout un manifeste-sans manifeste sur la foi, la conversion, le pardon, la rédemption. Rappelons-nous les premiers mots du film, juste après la citation biblique (Job) : "Frère, mère, ce sont eux qui m'on conduit jusqu'à toi", propos dits par Jack adulte (Sean Penn) que l'on ne voit pas, sinon un halo lumineux. Et à qui donc s'adresse Jack ? Qui est ce "toi", sinon le "Ciel", autrement Dieu ? The Tree of Life, oeuvre sans marqueurs ni repères temporels où toutes époques sont "mises au présent de notre appréhension/compréhension", où tout nous parle, nous chuchote à l'oreille de l'âme, c'est ça la marque de Malick. Et ce film est parcours initiatique et de conversion du jeune Jack enfant qui, nourrissant un Abel et Caïn envers ses deux frères, un Oedipe avec la mère (Jessica Chastain) et donc un conflit avec le père (Brad Pitt), va se laisser fracturer le coeur (conversion) par la foi et la bonté transmises par la mère, à partir de la scène de la "carabine à plombs", où nous allons assister peu après à une scène de pardon entre lui et son frère second, le loyal, le sensible, que le cinéma jusqu'ici n'avait jamais osée. Dès lors Jack rédempté, il peut vivre sa vie.
Ce qui fait les bons films, ce n'est pas l'histoire ni les personnages, mais la "manière" de raconter une histoire en insérant les personnages dans cette trame. Sur ce plan-là, Malick est unique. C'est le plus grand cinéaste de tous les temps, grâce à son intelligence sensible (le fameux Q.E) qu'il sait nous restituer, et plus encore nous susciter. Et the Tree of Life, avec la Ligne rouge, sont les plus beaux films de tous les temps. Et son dernier, À la Merveille, est... une merveille. Mais il faut une condition -- qui n'a rien à voir avec l'intelligence intellectuelle -- pour entrer, comprendre, vivre le film et s'en laisser remuer : on doit se laisser mener par la main, oser l'abandon comme on le ferait pour son médecin ou son psy, ou un parent spirituel. Pour certains, cela demande tout un travail, comme par exemple l'ouverture de l'élément féminin, la sensibilité qui réside en chacun de nous. Ainsi faut-il arriver devant l'objet the Tree of Life en laissant ses a-priori et ses préjugés aux vestiaires, opérer une suspension de jugement (l'épochè philosophique), et, si on y parvient, alors on est prêt à vivre une expérience véritablement unique qui va nous élever au-dessus de nous-mêmes et pour le bien. Terrence Malick est le génie du septième art. Merci Terrence Malick.
5/5 ou 19,95/20