Quand un film porte sur la Seconde Guerre Mondiale, c’est souvent pour parler du plus grand génocide de toute l’Histoire. C’est encore le cas ici, faisant encore une fois démonstration de l’implacable persécution dont les juifs ont été victimes, lesquels n’avaient pour ainsi dire aucune chance. Sauf que "Les insurgés" se distingue de ces longs métrages sur quelques aspects. D’abord on ne nous montre pas les rafles, les ghettos, les mauvais traitements, les exécutions à grande échelle, l’exploitation de ce peuple en main d’œuvre, les déportations. Tout du moins très peu. Disons que pour certains éléments, ils ne sont qu’évoqués si on excepte l’entame tournée comme des images d’archives. Ensuite l’action ne se situe pas en Europe de l’ouest, mais en Europe de l’est. Bien que le tournage n’ait pu se réaliser dans le pays d’origine pour des raisons politiques, direction est prise sur la Biélorussie, là où se sont déroulés les faits restés honteusement méconnus. Estimant sans doute combien il était injuste que l’œuvre des frères Bielski reste dans l’anonymat, Edward Zwick a écrit, réalisé et produit ce film tout en se servant du livre éponyme de Nechama Tec (une juive polonaise devenue grande spécialiste de la Shoah après avoir miraculeusement survécu grâce à des religieux catholiques polonais), comme si le réalisateur tenait à rendre un hommage mérité à ces hommes ordinaires devenus malgré eux des héros. Des personnages que le réalisateur qualifie lui-même de « héros imparfaits ». Et c’est ainsi qu’il les a décrits. Des hommes empreints d’humanité mais aussi faillibles, simplement parce que la colère parvient à prendre parfois le dessus. Il en résulte des images dures, mais pas autant qu’on pourrait le croire. Les horreurs de ce crime contre l’Humanité à grande échelle, nous les connaissons tous, et là n’était pas le propos, même si quelques exécutions sommaires ont été retranscrites à l’écran. Non, le film porte à l’écran tout ce dont l’être humain est capable, tout ce que celui-ci est apte à vivre : la soumission pour se donner le droit de vivre (les fermiers), la résignation en attendant d’hypothétiques jours meilleurs (les juifs du ghetto), la vengeance (les frères Bielski), la volonté de survivre en faisant appel à l’esprit de cohésion, de fraternité, d’entraide. Et bien sûr la peur, la douleur des proches perdus, le désespoir, l’espoir… Telle qu’elle nous a été décrite, l’œuvre des frères Bielski est née naturellement du massacre de leur propre famille et du village dans lequel elle résidait. N’ayant nulle part où aller, ils se réfugient dans les immenses forêts qui les entourent depuis leur plus tendre enfance. Des écrins de verdure qu’ils connaissent sur le bout des doigts et qui leur offrent un endroit certes pas très sécure mais plus sûr qu’une cité urbaine, grande ou petite. Alors oui tous les sentiments dont j’ai parlé plus haut sont proposés à l’écran. Pour autant, on ne sent pas plus que ça la douleur provoquée par la perte des proches. Il y a bien eu quelques tentatives en ce sens, mais… bien que la peine s'invite, je ne peux malheureusement pas dire que nous sommes littéralement emportés par ces pleurs. Ce qui est bien ressenti en revanche, c’est la reconnaissance de toute une communauté juive envers leur leader Tuvia Bielski, comme si elle voyait en lui un véritable messie. De ce point de vue-là, je crois qu’on peut féliciter tous ces innombrables comédiens, lesquels campent, grâce à un bon développement de la psychologie de chacun d'entre eux, cette multitude de personnages devenus à leur tour acteurs de leur propre survie. Malgré toute cette reconnaissance, Tuvia Bielski n’est pas un messie, et ne se considère jamais comme tel. En cela, Daniel Craig est bon, interprétant à merveille un homme ordinaire qui essaie de survivre tant bien que mal, quelque peu dépassé par les événements et les responsabilités qui lui tombent dessus sans les avoir spécialement cherchées, avec pour seules lignes de conduite la liberté et la dignité. Ah ces moments où il se fige, ces moments où doutes, questionnements, désarroi et hésitations se bousculent dans sa tête ! Magnifiques ! Dans tous les cas, il campe un personnage très différent de son frère Zus, plus en proie à la rage sourde qui le ronge, envahi par l’adage « œil pour œil, dent pour dent ». Dois-je dire que ça va amener quelques tensions ? Eh bien vous le verrez par vous-mêmes, mais le fait est que Liev Schreiber, dans le registre qui lui a été donné, est très bon également. Ne parler que de ces deux acteurs principaux serait réducteur. Je rappelle toute cette multitude de personnages juifs, auxquels on se doit d’en rajouter d’autres, simplement parce qu’ils sont attachants. Parmi eux et en tête de liste, Jamie Bell. Cependant il y a quelques petites choses qui me chiffonnent : les colonnes de fumée provenant du feu destiné à la cuisine ne rendait-elle pas cette communauté improvisée plus repérable ? Et celle émanant de leur système de chauffage ? Ah tiens d’ailleurs à ce propos, je m’étonne de voir que le groupe était équipé de poêles à bois ! En dehors de ça, je pense que la reconstitution est quand même pas mal, du fait que le lieu de résidence a été construit avec les moyens du bord. D’autant plus que "Les insurgés" a été tourné en milieu naturel, offrant du même coup des décors magnifiques. Enfin… à condition d’aimer les sous-bois, lesquels offrent tout de même un cadre idéal à une photographie déjà léchée. Mais pour moi, il manque tout de même des choses, telles que le gibier et le braconnage. En somme un film inégal, et que paradoxalement je trouve très bien, parce qu’il propose un autre point de vue dans une contrée rarement visitée par le cinéma. Dans tous les cas, même si le film n’est pas parfait, et quand on apprend le nombre de personnes qui sont ressorties vivantes de cette immense forêt, le spectateur ne peut rester qu’admiratif devant cette épopée hors du commun. Hommage est rendu aux frères Bielski, et ce n’est que justice, même s’il manque encore à ce jour la reconnaissance officielle.