Si globalement la critique française fit un bon accueil à « Mémoires de nos pères » (Flags of Our Fathers) certains ont vu un film hollywoodien, américain, propagandiste, etc… Il faut dire que cela commence comme « Saving Private Ryan » de Spielberg, qui est ici producteur aux côtés d’Eastwood. La scène de débarquement est un peu moins gore, mais elle tape pas mal, elle aussi. Et puis, lentement, intercalés dans le carnage, d’interview en interview, de séquences d’attente des proches au pays, réunis autour d’un repas, le film bascule dans la dénonciation de cette inhumanité absolue qu’est la guerre, mais sans jamais tomber dans le pacifisme angélique. Puis vient la photo et son utilisation. Avec une maestria sidérante et une photographie colorée contrastant avec le monochrome des scènes de bataille, le réalisateur et ses scénaristes développent une dissection de la manipulation au travers de la com. Photo reconstituée, faux héros et shows gigantesques servent avant tout à récolter des fonds afin de continuer la guerre pour défaire définitivement les forces de l’axe. Chacun des trois héros bidon représente symboliquement une étude comportementale dont la descente psychologique et les doutes les affectent plus ou moins. En premier le bellâtre qui a passé plus de temps à se planquer qu’à se battre, qui ne rate pas une occasion de se mettre en avant et qui se fait harponner par une morue qu’il finit par épouser. Plus nuancé est le cas du « Doc ». Après tout il a sauvé des vies et s’est fait blesser dans un ultime secours. Il est sans doute le plus proche de l’idée que chacun peut avoir d’un héros. Pourtant il sera tourmenté jusqu’à la fin de sa vie par le souvenir de ceux qu’il n’a pu sauver, comme Iggy, jusqu’à son lit de mort. Enfin l’amérindien, qui ne voulait pas participer à cette mascarade médiatique et mercantile, ne s’en remettra jamais, au propre au propre comme au figuré. Pour lui la politique est comme la guerre, cette derrière paraissant juste plus immédiatement violente. Ce n’était que le début. Bien après le générique de fin, le malaise quant à la valeur superficielle de la politique spectacle actuelle, s’installe peu à peu dans nos têtes. Rerevient alors le souvenir de la manipulation plus récente (une vidéo cette fois), celle du levé de drapeau sur l’ambassade US à Bagdad. Donc, contrairement au premier degré de Spielberg, Eastwood en livrant un regard critique, qui n’évite pas le côté sale et obscur de l’histoire américaine, sur la plus célèbre photo de la deuxième guerre mondiale, devenu patrimoine de l’US Army, rejoint le grand cinéma d’Hollywood, celui qui questionna bien souvent les valeurs fondatrices des Etats Unis. A l’opposé de John Ford avec « L’homme qui tua Liberty Valance », il a choisit de ne pas imprimer le mythe. Comme souvent dans la deuxième partie de sa filmographie, l’humain et la raison l’emportent, si bien que malgré les moyens déployés, le déroulé reste constamment à hauteur d’homme. Ce grand film est suivi par son contre pendant en langue japonaise : « Letters from Iwo Jima ».