https://leschroniquesdecliffhanger.com/2023/07/03/larmee-des-ombres-critique/
« Mauvais souvenirs, soyez pourtant les bienvenus. Vous êtes ma jeunesse lointaine« .
C’est par cette phrase de Georges Courteline que Jean Pierre Melville plante son terrible et funeste décor, cette France des ténèbres, qu’il va filmer avec sa virtuosité unique. Très vite, en écho, le terrible et horrifique bruit des bottes sous l’arc de triomphe. Parfois un son et une image disent tant de l’abomination planétaire, toujours tellement à nos portes. C’est en nous mais aussi si près de nous. Et clairement, la force monumentale et magistrale de L’armée des ombres, c’est précisément son glaçant réalisme avec cette imprégnation du cinéaste, qui s’est inspiré de véritables réseaux de résistance.
Les héros ne sont pas flamboyants, ils se cachent, et forcément se tapissent dans l’ombre, le sombre, le glauque. Il faut fuir, mais aussi déjouer, anticiper les trahisons déjà existantes et celles à venir. Des héros que l’on devine condamnés au tombeau, des sursitaires de la mort. La question n’est pas de savoir si la mort viendra, mais à quel moment. Cette bravoure est infiniment touchante. C’est la routine de la survie.
Lino Ventura porte haut le calme de l’héroïsme des justes. Il est magnifique de ce flegme triomphant des héros très discrets, qui agissent avec un naturel qui les rendent d’autant plus attachants qu’indispensables. Le film est hautement métaphorique, avec cette mise en scène comme blafarde, au bleu délavé et au noir constant. L’air est suffocant, c’est une poésie horrifique et mortifère. L’image mais aussi le son. Un film tout sauf verbeux, où chaque mot compte, et vient donner une puissance à tout ce qui passe à l’écran. Le cinéma très épuré de Melville, ces plans saisissants sur ces personnages, où passent les doutes permanents, les peurs ordinaires et les passions tristes, font de L’armée des ombres comme une œuvre d’art, tant le geste de cinéma est singulier, tant l’émotion formelle nous étreint et tant le film s’ancre en nous avec la puissance de l’universel. Lino Ventura, tout comme Simone Signoret, comme finalement tous les autres sont finalement tout en silence, en introspection.
Avec L’armée des ombres, Melville nous montre peu la grande histoire, mais s’appuie sur ce qui lie les camarades de la grandeur et du dévouement pour une cause si existentielle et humaine. C’est le culte du non-dit, un véritable film noir d’ambiance, véritablement radical et avec des ombres qui viennent nous hanter de leur bravoure.