Ancien résistant, Jean-Pierre Melville avait plus d’une raison de réaliser L’armée des Ombres. Tout en se basant sur l’œuvre éponyme de Joseph Kessel, roman-symbole de la Résistance, il a implanté son propre vécu et ses souvenirs dans le scénario, fidèle au roman.
Le film suit le parcours de Philippe Gerbier (Lino Ventura), homme d’idées qui combat pour la liberté en étant à la tête d’un réseau de résistance et qui s’est fait arrêter pour « idées gaullistes ». Lors d’un transfert qui s’annonce mortel vers la Gestapo parisienne, Gerbier s’évade et reprend le combat aux côtés de ses fidèles. Seulement, ces hommes et femmes de caves ne connaissent pas que des victoires…
L’Armée des Ombres fascine d’une façon troublante et changeante : mis en scène avec une sobriété presque bancale, le film se concentre sur des faits, des instants, des regards, des fragments bruts et directs. Ainsi, l’héroïsme ne prend guère une forme lumineuse ici, bien au contraire : les visages se font tirés, graves et sérieux, tout comme les décisions qui doivent être prises. Lorsque ces hommes qui combattent pour la liberté doivent offenser l’humanité en ayant recours à la torture, au meurtre et à l’emprisonnement, ils n’en sont que plus avides de poursuivre leur quête, car ils se retrouvent eux aussi à devoir commettre des actes irréparables et impardonnables au nom de la justice face à l’envahisseur.
Dans leur quotidien, il n’y a pas de célébrations, pas de victoires, pas de cris de joie lorsque une évasion réussit ou qu’un ami réapparaît, car il en reste bien trop derrière les barreaux, brisés par la torture, car le ciel reste gris, car les traîtres sont partout, car pour une victoire il y a eu trois échecs, car le moindre geste peut provoquer une avalanche de conséquences fatales.
Melville parvient ainsi à évoquer des émotions simples, mais d’une intensité rare rien qu’en usant de sa caméra. Guère besoin de dialogues et de discours pleins d’espoirs, ou d’adieux déchirants : lorsque la peur se fait plus forte, nos tripes sont secouées, lorsque l’audace et le courage la défient malgré tout, notre respiration cesse d’elle-même, par peur de trahir leur mission, lorsqu’un regard doit en dire long entre Gerbier et Mathilde (Simone Signoret), on en comprend encore plus.
Mais il faut bien le reconnaître : parfois, cette simplicité de la réalisation, portée essentiellement par...
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