Plus de vingt ans après avoir porté à l'écran Le Silence de la mer, de Vercors, Jean-Pierre Melville signait un autre film sur la Résistance avec cette Armée des ombres. Après la résistance passive d'un vieil homme et de sa nièce, délibérément muets face à l'occupant allemand, il évoquait ici une résistance active, un monde de l'ombre, aux agissements souterrains. Le scénario est adapté d'un roman de Joseph Kessel. Il est également empreint de souvenirs personnels, du temps où Melville appartenait aux FFL, où il s'était d'ailleurs choisi le patronyme qu'il a toujours gardé par la suite (en hommage à l'auteur de Moby Dick). Le scénario s'inspire enfin de quelques réseaux célèbres de la Résistance française et de certaines figures importantes (Jean Cavaillès, Lucie Aubrac). Tourné vers l'action, donc, ce film a l'immense mérite de ne jamais céder à la facilité : pas d'héroïsme appuyé, pas de patriotisme exacerbé, pas de surdramatisation. Mais des hommes, des faits, une tension constante, une précision sans fioriture et bien tranchante. Il n'y a là aucune scène en trop, aucun mot en trop. L'Armée des ombres est un diamant brut. Au centre des relations humaines, d'une belle et austère densité : l'intérêt individuel et l'intérêt collectif, la solidarité et la trahison, le sens du devoir et de l'honneur, le courage et la peur. Autant de thèmes chers au réalisateur dans l'ensemble de sa filmo. La mécanique narrative de L'Armée des ombres (qui multiplie habilement les points de vue) associe tous ces thèmes rigoureusement et sobrement, en fait jaillir une noirceur tragique à la fois implacable et bouleversante, qui doit également beaucoup à l'interprétation générale, vraiment remarquable (Ventura, Signoret, Meurisse, Cassel, Crauchet...). Au final, c'est sans conteste l'un des meilleurs films de Melville et l'un des meilleurs films sur la Résistance en France.