« Tatami », le film coréalisé par Guy Nattiv et Zar Amir Ebrahimi, est un long métrage qui prend d’emblée des partis pris esthétiques auxquels nous ne somme plus trop habitués : le noir et blanc et le format carré. Je ne sais pas pourquoi ils ont fait ce choix mais j’imagine que c’est pour nous offrir un film qui devient de plus en plus étouffant, de plus en plus resserré et tendu au fil des minutes. L’intrigue se déroule presque en temps réel, le temps d’une compétition de judo. On le sait, les combats de judo s’enchainent assez vite dans un championnat, aussi le film n’a que deux angles à exploiter : sur le tatami et hors du tatami en coulisse (on excepte quelques toutes petites scènes en Iran et quelques flash back très courts). Pour ce qui concerne les scènes de judo, sport très peu exploité à ce jour par le cinéma, je trouve qu’elles sont pas mal filmées du tout. C’est vrai que le sport sur grand écran, c’est souvent compliqué à filmer mais ici ça passe bien. Bien-sur, les effets sonores sont un peu amplifiés, les combats raccourcis, les ippons un peu plus spectaculaires qu’ils ne le sont en réalité. C’est de bonne guerre et pour ce que j’en sais (c’est à dire pas grand-chose étant donné que ce sport m’est peu familier), tout m’a l’air plutôt bien rendu. Mais le suspens n’est pas réellement sur le tatami, il est surtout en coulisse. Peu de musique, un montage au cordeau, des scènes filmées caméra à l’épaule, du hors champs qui fait monter la tension : l’intrigue devient de plus en plus irrespirable au fil des conversations téléphoniques, au point que chaque sonnerie de portable finit par apporter à elle seule de la nervosité au spectateur. Sur la forme, à moins de vouloir chipoter sur les scènes de combat (pour les spécialistes), « Tatami » est de très bonne facture. On en va pas ergoter, le casting repose quasiment entièrement sur deux comédiennes Arienne Mandi dans le rôle de Leila et Zar Amir Ebrahimi elle-même dans le rôle de son entraineuse, Maryam. Cette dernière incarne une ancienne championne
qui s’est retrouvé en 1988 exactement dans la même situation que sa protégée, et qui a cédé à la pression.
Zar Amir Ebrahimi donne corps à une femme tiraillée,
dont on sent que cela fait longtemps qu’elle ressasse cet abandon. Au début, plus par peur que par loyauté, elle pousse Leïla à accepter, parfois durement, souvent sans ménagement. Mais impossible de lui en vouloir, le régime la place dans une position impossible et elle est terrifiée pour elle-même et ses parents.
Plus encore que Leïla, c’est son personnage à elle qui a le plus de chemin à parcourir dans l’espace d’une journée. Arienne Mandi, quant à elle, est formidable dans le rôle de cette femme forte, déterminée
à ne plus céder à ce régime.
Le scénario, d’après ce que je sais, ne raconte pas l’histoire vraie d’une judokate mais mélange plusieurs expériences similaires, subies par des sportifs et des sportives iraniennes dans des sports d’affrontement ces dernières années. C’est arrivé en judo, en lutte, en boxe et surement dans d’autres cas qu’on ignore. Le film montre comment le régime s’y prend pour faire pression :
on ordonne, puis on menace, puis on va chercher les parents, on leur demande de faire pression, on les arrête le cas échéant, et puis les choses peuvent surement aller encore plus loin, et tellement vite. Leïla commence par refuser mais la pression devient insoutenable, elle perd de l’influx et ses combats sont de plus en plus difficiles. Son quart de finale tourne au cauchemar, elle ne peut plus respirer, elle est proche de l’abandon et dans un geste hautement symbolique, pour retrouver de l’air, elle enlève son foulard. On peut trouver que cette scène symbolique est un peu « facile », que la ficelle est grosse, mais au fond, avec ce geste, elle opère une rupture. La télévision iranienne n’en montrera rien (la retransmission est coupée depuis un moment) mais le geste est là : elle ne le fait pas de rage ou par bravade, elle le fait parce qu’elle a besoin d’air. L’attitude du monde du judo, qui comprends tout assez vite (ils sont habitués malheureusement) et fait tout ce qu’il peut pour aider Leïla, est honorable dans le mesure de leur moyens. On est soulagé lorsque la jeune femme, à bout de nerf, leur demande enfin de l’aide.
« Tatami » est un film réussi. On peut (peut-être) trouver à redire sur certains aspects (peut-être) moins crédibles
(la perte de poids en 20 minutes, la fuite du mari avec son fils en quelques heures)
mais pris dans son ensemble, « Tatami » est fort réussi.