Tatami, thriller-drame, de Zar Amir Ebrahimi et Guy Nattiv
Les choix radicaux opérés au nom de la liberté et de la dignité m’émeuvent et m’interrogent. Serais-je capable de renoncer à ma vie, à mes biens, à ma famille, à mon pays et de choisir l’exil, sans retour possible (comme l’ont fait mes grands-parents arméniens il y a plus de cent ans) : tel est le sujet de « Tatami ». Tirer un trait définitif sur tout ce qui nous constitue pour exercer ce pour quoi on existe et ce à quoi on croit. Traduire en actions irréversibles, avec panache et audace, la part d’humanité que l’on estime non négociable.
Il y a 50 ans, Mikhail Baryshnikov, danseur étoile au Bolchoï, demandait l’asile politique au Canada, lors d’une représentation de la compagnie du théâtre de Moscou. Son passage à l’Ouest a plus tard fait l’objet d’un film haletant, aussi politique que l’est « Tatami » : « Soleil de nuit » (de Taylor Hacford, Twyla Tharp, Roland Petit) avec cette bande-son inoubliable, du poète écorché Vladimir Vyssotski.
Si Leïla Hosseini n’existe pas en réalité, l’histoire qu’elle porte à bout de kimono au cinéma n’en est pas moins vraie. Cette fois le contexte n’est pas la guerre froide mais le conflit isarelo-iranien qui remonte à 1979, lorsque l’Ayatollah Khomeini accèdait au pouvoir et coupait ses relations diplomatiques avec Israël. Un conflit plus que jamais d’actualité.
Comme « Soleil de nuit », « Tatami » explore le combat que mènent les oppressés d’un régime autocratique par le prisme du sport de haut niveau (danse, judo). Et comme dans « Soleil de nuit », l’athlète, Leïla, est sous la coupe d’une entraîneuse, Maryam, qui a abdiqué face au régime des Mollahs. Kolya Rodchenko (Barysnhikov) lui, était surveillé de près, et puni s’il le fallait, par Greenwood, aux ordres du Kremlin.
Comme « Soleil de nuit », « Tatami » est un thriller qui laisse à bout de souffle et exsangue, aux rebondissements inattendus et toujours plus anxiogènes, et aux métaphores soignées : les prises de judo symbolisent le gaslight visant à faire taire les femmes. Les menaces ciblent, sans égards, les plus vulnérables (parents, conjoints, enfants) comme en temps de génocide. Atteindre le mental de ces sportifs censés être cuirassés est l’objectif. En l’occurrence, Leïla Hosseini vise la médaille d’or aux JO, coûte que coûte et quels que soient les risques qu’il lui faudra prendre. Pour elle, pour sa coach, pour sa famille, pour son pays, elle décrochera l’or.
En noir et blanc, son combat est d’autant plus étouffant et on s’agrippe aux accoudoirs de nos fauteuils de cinéma. Le film est sobre, léché, mesuré. Les actrices nous subjuguent de la première à l’ultime seconde.
Jamais sans doute les co-réalisateurs, l’iranienne Zar Amir en exil, et l’israëlien Guy Nattiv, n’auraient imaginé que l’actualité politique coïncide autant avec leur film, lors de sa sortie. Mais on le sait, la réalité supplante toujours la fiction. Les droits des femmes en Afghanistan et en Iran sont soumis à toujours plus d’interdits et de mépris : mariages forcés, violence normalisée, lapidations autorisées, assignations à résidence, privations de soins, emprisonnements arbitraires, droits à l’éducation bafoués, voile imposé, interdiction de chanter. Les lois restrictives s’accumulent. Reste l’exil pour celles qui le peuvent et, pour Leïla, la possibilité de se présenter sous la bannière des réfugiés politiques.
Il est bel et bien question de l’effacement systématique des femmes et c’est un crime contre l’humanité.
« Ce n’est pas l’islam, c’est leur guerre contre les femmes » témoigne une Afghane. « Bella Ciao » répondent en chœur femmes afghanes et iraniennes. Plus que jamais « Femme, Vie, Liberté » !