Même si je n’ai plus regardé quoi que ce soit de Nanni Moretti depuis ‘Habemus papam’ il y a plus de dix ans, j’en garde le souvenir d’un cinéaste profondément européen, l’un des derniers de son espèce peut-être, qui a depuis toujours tenté de concilier deux tendances divergentes du cinéma italien, le néoréalisme et la satire. Son dernier projet poursuit la tradition d’autofiction qui a souvent eu ses préférences, nul n’étant mieux placé que lui pour incarner un avatar qui possède les mêmes idées et valeurs. Giovanni est un cinéaste vieillissant qui peine à terminer son film, entre autres parce que son sujet et les valeurs de gauche qu’il porte n’intéressent plus grand monde et parce que sa manière de tourner ne correspond plus aux contingences économiques modernes…mais surtout parce que terminer comme il l’a prévu dans le script, par le suicide de son personnage, serait une façon de valider une pulsion de mort qu’il refuse de se reconnaître. En plus, ses acteurs n’en font qu’à leur tête, son producteur est véreux et sa femme la quitte. Alors, Giovanni fait ce que font tous les gens de son âge quand rien ne va plus : il radote, soliloque, discourt sans fin, il fustige l’inculture des jeunes générations, dénonce la vacuité des films commerciaux, il se perd dans les chansons d’amour napolitaines de sa jeunesse et se remémore avec une naïveté sincère une manière d'envisager le cinéma qui n’a peut-être jamais existé ailleurs que dans sa mémoire. Certains verront en Nanni Moretti une voix sage venue d’un passé où on croyait encore que tout était politique, d’autres un boomer grincheux qui ne veut pas changer d’avis et qui ne veut pas changer de sujet. ‘Vers un avenir radieux’ est une comédie douce-amère, aux ambitions mineures et engoncée dans un étrange “rétro-optimiste”, dont on sent confusément qu’elle n’arrachera une larme ou un sourire spontanés qu’aux ultimes représentants de l’intelligentsia de gauche italienne, même si la séquence avec les pontes de Netflix est bien sentie. Ce qui n’empêche pas qu’on puisse prendre un certain intérêt à réfléchir aux questions existentielles que se pose Moretti : comment vieillir dans un monde où votre vision des choses est aussi différente de la norme que le serait celle d’un extraterrestre ?