Bong Joon-ho a toujours été un cinéaste du dérèglement, capable de manier la satire, le grotesque et le tragique avec aisance. Mais Mickey 17 s’avère être un film plus fébrile, une créature hybride qui semble parfois à la dérive dans son génie.
Mickey Barnes (Robert Pattinson), être remplaçable et cloné à l’infini, aurait pu être le héros tragique d’une fable existentielle sur la déshumanisation du travail et le sacrifice systémique des faibles. Mais Bong Joon-ho choisit de le transformer en pantin burlesque, une sorte de Forrest Gump de science-fiction, passif et hagard.
Il incarne un Sisyphe lobotomisé, incapable de révolte, à peine conscient de son propre asservissement. Comment penser la révolte si l'opprimé ne résiste pas ? Comment interroger l'humanité d'un clone si ce dernier ne revendique rien ? Le résultat en est une satire étrange, inachevée, qui semble vouloir à la fois accuser et s’amuser.
Derrière son épaisse couche de démesure, le film s’abandonne à une logique de carnaval dystopique où Mark Ruffalo, en gouverneur grotesque, et Toni Collette, en stratège caricaturale, donnent tout dans l’excès. Avec eux, la critique du capitalisme et de l'impérialisme s'égare dans un élan pantagruélique.
Ici, Ruffalo et Toni Collette se vautrent dans la surenchère. On est face à un théâtre de marionnettes hystériques, où chaque réplique surligne lourdement le cynisme du capitalisme et la décrépitude de nos dirigeants. Ce jusqu’au-boutisme a une force indéniable, une résonance contemporaine, mais il finit aussi par s’user, à force de vouloir marteler son message avec la subtilité d’un uppercut.
Dans ce monde malade, Bong prophétise une apocalypse gouvernée par des crétins, avides de pouvoir, entourés d'une meute de courtisans grotesques. Mais cette farce cynique se heurte à une réalité encore plus glacante, et surtout actuelle.
Les nombreuses réécritures et coupes semblent avoir laissé des traces profondes sur la construction du film. L’univers est foisonnant, mais déstructuré, parfois incohérent. Certaines idées fascinantes (les variations de personnalité entre les clones, les dilemmes éthiques de la colonisation) sont jetées en vrac sans jamais être vraiment développées. On pose des concepts vertigineux sans prendre le temps de leur donner une substance. Le récit lui-même semble se perdre en cours de route, introduisant des sous-intrigues inutiles qui ne mènent nulle part.
Si Mickey 17 déroute autant, c’est peut-être parce qu’il prétend trop embrasser. Il veut être une dystopie féroce, une comédie noire, une réflexion philosophique et une satire politique en même temps. Or, en multipliant les registres, le film s’effrite, perd de son impact. Là où Parasite trouvait un équilibre entre grotesque et tension dramatique, Mickey 17 penche trop d’un côté puis de l’autre, jusqu'à ce que l’on ne sache plus très bien ce que l’on regarde.
Mais tout cela est aussi sa force. Le film capte quelque chose du monde actuel : un sentiment d’absurdité, d’effondrement, où les figures d’autorité sont risibles et terrifiantes à la fois.
Alors, Mickey 17 est-il un échec ? Peut-être. Mais c’est un échec fascinant, un film trop ambitieux pour son propre bien, trop délabré pour réussir pleinement, mais aussi trop sincère pour être ignoré. Il ne décourage pas la curiosité, bien au contraire. Après tout, le vrai cauchemar serait un film sans aspérités, lisse et prudent. Bong Joon-ho, lui, continue d’explorer quitte à s’y perdre.