Le film commence sur un grand bruit de la forêt, de la Nature, comme une masse vivante et sensible, prompte à réagir aux bruissements qui la parcourent, comme une divinité en soi, immanente. Une Nature, une île, une patrie, un peuple, une culture, le tout faisant corps et Un : Le Japon. S'ensuit immédiatement une scène de mise en croix de Chrétiens par des Japonais qui demandent d'abjurer cette religion étrangère, venue envahir leur insularité, qui accomplissent là leurs destins de martyrs satisfaits.
Ensuite, le film enchaîne sur une incursion de deux prêtres chrétiens Européens en terre japonaise et tentant de christianiser des Japonais. Première incompréhension des Japonais, bien que convertis, lorsqu'ils veulent aller au paradis ici et maintenant, les chrétiens ont peine à leur expliquer que Dieu est là-haut, c'est à dire ailleurs, nulle part, et que le salut est pour une autre vie. Première confrontation entre une mentalité, mettons, panthéiste, immanente et un dieu au-dehors, absent, séparé, silencieux – titre du film -.
Les Japonais restés authentiques humilient les Japonais ayant trahis leur patrie et leurs rites, en les faisant marcher sur une représentation de Jésus, brûlent ceux qui n'adjurent pas la foi étrangère, la croyance en ce dieu abstrait, que les Japonais méprisent, à juste titre, comme une notion inconciliable avec leur existence propre. En somme, les Japonais cherchent à conjurer absolument ce qu'ils entrevoient, s'il la laissait croître, comme une fausse religion (c'est à dire extérieure à ce qu'ils sont) corruptrice et à terme destructrice de leur identité, c'est à dire de leur existence. Le châtiment n'est pas immoral, au contraire, c'est le sort qui devrait être réservé à tout transfuges.
Ce qui frappe c'est l'infériorité de la religion chrétienne, qui ne prospère – et c'est là sa « force », la raison de sa croissance) que sur les affects de la souffrologie, du martyr, des humbles de part le monde, et par pulsion masochiste, cherchant le salut au dehors.
Les chrétiens japonais sont misérables, courbés, soumis, cachés, sales, tandis que les agents impériaux sont dignement habillés, à cheval, haut, honorifiques, armés et martiaux. L'image est ici très nietzschéenne, surhumanité contre larves larmoyantes.
Le Chrétien authentique ne cherche qu'à souffrir, à périr sur la croix, à quitter ce monde pour un autre, inexistant, qu'il voudrait meilleur, à se repentir, se confesser. C'est là sa force de persuasion et sa capacité à percer chez tous les lépreux et les infirmes de la terre, cette universalité corruptrice de l'organisation hiérarchique des Nations, cette séduction par la promesse d'un monde meilleur, l'égalité dans la mort, après la vie. Mais toujours ce silence, néanmoins. Car ce dieu est absent puisqu'il n'Est pas.
Le dialogue du samourai bouddhiste versus celui du chrétien est éloquent et ridiculise la foi en un autre monde, tandis que le bouddhisme est une éthique, une doctrine personnelle de perfectionnement en ce monde, une ligne de conduite et non une espérance, une « foi », une promesse après la vie, c'est à dire dans le néant. D'autre part, le boudhisme fait ici office d'une religion civile, ethnique, directement en liaison avec le peuple japonais.
Tout individu sain ne peut prendre partie que pour la beauté du système japonais, impérial, hiérarchique, élégant, martial et parce qu'il y a un envahisseur, une tentative de corruption par un élément étranger, en l'occurrence le christianisme. Il y a lieu, pour apprécier la justesse de la ferme réponse, de faire un parallèle et de se mettre « à la place de » l'envahi. La réaction saine est, bien entendu, de châtier les traîtres au bouddhisme et donc au Japon, avec la fermeté ici exprimée, comme les Romains l'avaient fait des chrétiens d'alors et les châtier ici avec un tel sens de l'honneur et de manière si élégante et rituelle, presque une exécution en forme d’œuvre d'art, un coup de sabre au mouvement parfait, d'un trait rédempteur, couper la tête du traître plaintif, corrupteur en puissance de l'être ou bien prolonger cette conjuration d'un long rite patient et cruel.
Second passage en forme de dialogue de grande importance, avec le Gouverneur. Le Gouverneur utilise une allégorie des quatre femmes chassés du royaume parce qu'elles étaient jalouses l'une de l'autre et causes de désordres internes, les quatre femmes étant les quatre tentatives d'incursions étrangères (Portugal, Hollande, Espagne et l'Angleterre). Le prêtre conseil alors la monogamie, c'est à dire propose au Japon d'embrasser la christianisme, plutôt que de commercer avec l'une des quatre Nations chrétiennes. Le Gouverneur lui donne alors une leçon de patriotisme ethnique tel que seul le Japon est en mesure d'en donner, qui consiste à proscrire le choix d'une femme étrangère, le prêtre rétorque à cela son couplet gauchiste (« la nationalité n'a pas d'importance...l'important c'est l'amour », et on a honte, bien entendu, d'entendre une telle niaiserie au fondement de notre «civilisation »). Le Gouverneur est alors obligé d'humilier une fois de plus le chrétien et d'une manière assez habile : « il y a beaucoup d'hommes affligés par l'amour insistant d'une femme laide, en ce moment ». La hideuse moraline chrétienne. Tout au long du film on ne cesse d’entendre geindre le chrétien, tourment de l'âme et doutes. A contrario, les Japonais restent toujours digne dans leur froide cruauté (valeur saine, selon Nietzsche, faut-il le rappeler ici) et leur belle détermination patriotique à rester ce qu'ils sont, s'érige en exemple.
Voici deux heures de film et troisième confrontation : le prêtre bouddhiste avec le prêtre chrétien. Là encore, élégances et épures rituelles, supériorité de l'une sur l'autre, tout au long du film.
Jusqu'à plus de deux heures du film, on croit assister un film nietzschéen, fait de surhommes se jouant de larves geignardes pétri de tourments et de doutes et l'on s'en réjouit grandement, ce qui trouble de la part de Martin Scorcese, dont la foi catholique n'est pas un secret.
C'est le moment de la confrontation avec le Blanc ex-chrétien devenu moine bouddhiste qui consacre désormais sa vie à l'étude. Il explique alors ce qui fait la force de la religion japonaise, son panthéisme (le « fils de dieu » est selon l’interprétation des Japonais le Soleil, qui est aussi l'Empereur, ainsi, tout fait corps et unité : terre-peuple-société). L'ex-prêtre chrétien est donc revenu, grâce au Japon, à la Tradition primordiale, panthéiste, ou païenne, qui ne peut être déconnecté de la Vie et de la Nature, et du Monde. Leçon magistrale amenée par rites successifs jusqu'à l'abjuration, parcours initiatique de réification que le second prêtre achèvera finalement.
Au final, ce film est une apologie d'un système holiste et clos, compacté sur lui-même absolument parfait, se prémunissant de toutes intrusions culturelles, esthétiques, religieuses, étrangères (examen des objets importés de l'occident ; rituels permanents d'abjurations pour conjurer la corruption de la patrie japonaise ; même l'assimilation n'est jamais acquise, dans un tel système pur ethnico-culturel et l'on fait répéter inlassablement les gestes de rejet envers le christianisme) que l'on aurait envie de prendre en exemple. Du moins, pour qu'il soit cette leçon magistrale là, aurait-il fallu se dispenser de la toute dernière minute (la croix entre les mains du défunt). Scorcese le chrétien n'a pu s'empêcher de terminer son film sur cette ambiguïté là (sans doute plus pour un souci de scénario, offrir une ouverture, un effet de surprise, matière à réflexion, mais que je ne considère par comme indispensable). A-t-il vraiment abandonné sa foi ? Dieu seul le sait, certes, c'est à dire personne et cette conclusion valide d'ailleurs plus la terreur des japonais et la suspicion continuelle vis à vis de l'assimilation, qui n'est jamais totale, semble-t-il.
Le film est dans l'ensemble très beau, image zen.
On sait, historiquement, que le Japon ne sera pas converti par la religion au XVIIe. Effectivement, la menace a été conjuré à temps et efficacement. Mais « l'Occident » gagnera plus tard la « conversion » du Japon par la technologie et l'économie et l'obligera finalement à une transformation interne (l'ère Meiji) en abandonnant de nombreux codes qui leurs étaient propres, une part de leur identité, mais aussi pour en préserver l'essentiel.