Si cette histoire n'avait pas existé, il aurait fallu l'inventer juste pour Scorsese, tellement elle met en lumière un pan essentiel de son cinéma. Et pourtant, au premier abord, cela paraît très éloigné de ce à quoi il nous a habitué, en effet rien que le titre Silence a de quoi laisser perplexe... Silence, Scorsese ? C'est presque un oxymore, venant d'un cinéaste habitué à mettre en scène la fureur, l'effusion des émotions et la mégalomanie de ses personnages, le tout rythmé par une bande-son rock et baroque ; il semblait même avoir atteint un certain paroxysme lors son précédent film, le loup de Wall Street. Des œuvres tellement puissantes et maîtrisées qu'on en oublierait presque le symbolisme qui les jalonne : la quête de sens, la chute, la rédemption... Toujours la même recette, mais sous des aspects différents.
Alors oui, il y a eu la dernière tentation du Christ, Kundun... Ce n'est pas la première fois que Scorsese tente de raconter sa foi de manière frontale, de la transcrire au-delà du symbolisme. Mais justement, le symbolisme en tant que tel est au cœur de ce film, et là est toute la différence. Il manquait quelque chose à la dernière tentation du Christ pour en faire une œuvre aboutie, celle qui incarnerait l'idée essentielle de son cinéma, et peut-être plus encore. Cette fois, Scorsese, plus vieux, plus sage, l'a semble-t-il trouvé : s'il n'arrive à exprimer ce qu'il ressent que par symbolisme, alors parlons de symbolisme, parlons du cheminement qui conduit à le renier, parlons de ce qu'il y a au-delà, de ce qui reste... Et ce qui reste, le silence, n'est pas la négation du bruit comme on pourrait le penser, mais un rapport direct entre lui et Lui.
Mais je me risque à aller un peu plus loin en parlant de rapport entre Scorsese et Scorsese. Parce qu'au-delà de la chrétienté, et même de la foi en Dieu, c'est surtout de croyance de manière générale dont il est question, ce qui n'est pas sans rappeler un film en apparence mineure de sa filmographie, Shutter Island, sur bien des aspects. Si la folie suinte dans les deux films, si les aspects visuels se font parfois écho, si les "silences" tombent là où la "vérité" apparaît, ils se rejoignent également sur une idée essentielle de la croyance, en tant que seule capable de sauver de l'absurdité et du chaos du monde. Cette même croyance qui passe par la volonté que d'autres y adhèrent pour se rassurer dans sa propre foi, puis la confrontation, puis la folie, avant d'être finalement intériorisée en soi. En explorant ses propres barrières intimes, Scorsese donne à voir bien plus que lui-même ne l'imaginait peut-être. Comme quoi, le symbolisme, on n'y échappe jamais tout à fait... Il fait partie intégrante du monde. Mais là où ce film est essentiel, c'est qu'il l'utilise comme leitmotiv, le piétine et permet ainsi d'y voir au travers. N'est ce pas ce qu'on peut attendre du cinéma et de l'art en général ? En sondant son intimité profonde, Scorsese donne à voir un certain aspect du monde.