Ce qui étonne le plus à propos du dernier film de Martin Scorsese, ce n'est pas tant son calme succédant à la fureur du "Loup de Wall Street" que sa réception critique. La presse et une bonne partie des spectateurs sont d'accord pour parler d'un film ambigu alors que "Silence" ne l'est jamais. Au fond, de quoi est-il question ? D'un jeune prêtre qui croit pouvoir évangéliser le Japon et qui va regarder des chrétiens mourir avant qu'on lui dise ce que l'on avait compris depuis deux heures, à savoir que la plupart des japonais ne veulent pas être convertis au Christianisme et qu'il va devoir renier sa foi. C'est tout ? Oui, c'est tout. Et les Chrétiens, dans tout ça ? Ils n'ont pas, eux aussi, tenter d'évangéliser des peuples en usant de la torture ? Certes, mais de cela, Scorsese n'en parle pas, se passant d'une lecture dialectique pour uniquement se pencher sur la cruauté des méchants japonais, inventifs dans les méthodes violentes employées pour tuer les chrétiens - à ce sujet, le cinéaste aurait pu se passer d'un telle complaisance lors de scènes assez insoutenables et surtout répétitives. Par le passé, Scorsese a démontré qu'il maniait habilement la logique du renversement ("Shutter Island") et emploie de nouveau ce procédé ici (le dernier plan, pas très surprenant), sans succès, tant le film est prévisible de bout en bout, à cause d'une étroitesse d'esprit liée à l’attachement au point de vue unique du Père Rodrigues. Pourtant, si le film n'est pas un désastre total, c'est paradoxalement parce qu'il est rivé à la vision de son personnage principal, pris dans un délire qui donne lieu aux meilleurs scènes (le reflet du Christ, la voix-off de Dieu), qui sont aussi les plus grotesques mais les plus risquées. On se passera, en revanche, du jeu outrancier d'Andrew Garfield et du choix de faire parler les japonais dans un anglais atroce, une idée absurde qui contraste avec une mise en scène globalement retenue et réaliste. Réalisant un vieux projet qu'il aurait mieux valu ne pas adapter, Scorsese ne filme pas le Japon en touriste mais n'est clairement pas à la hauteur de la complexité du sujet en oubliant de nuancer ses personnages et son propos.