On ne saurait suffisamment avertir les personnes sensibles (et évidemment, les plus jeunes : le film est interdit aux moins de 16 ans, mais même à 16 ans, je penser qu'on est un peu jeune pour voir ce film qui fut autrefois, tout simplement, interdit aux mineurs) de faire gaffe : cet ultime film de Pasolini, sorti peu de temps après sa mort par assassinat, est une épreuve. C'est aussi un film très fort, puissant, important (un réalisateur portant ce film très haut, Bertrand Bonnello, dira à son sujet que c'est peut-être le film le plus important de l'histoire du cinéma), accessoirement un de mes préférés, mais ce n'est pas un film que l'on reverra à intervalles réguliers et rapprochés. Une fois vu, on s'en souvient, et il s'est écoulé plus de 10 ans avant que je ne trouve en moi la force de le revoir. Il faut trouver le bon moment pour le voir ou le revoir : moral au beau fixe, énergie... Si vous êtes recouvrant de maladie, ou dans une phase personnelle compliquée, revoyez plutôt "La Mélodie du Bonheur".
Ce film est un choc, voilà. L'histoire est simple, et adaptée de Sade, Pasolini a juste transposée l'intrigue pendant la République de Salo (1943), courte période de l'histoire italienne pendant laquelle Mussolini fut installé, sous couvert des nazis, dans le nord de l'Italie contrôlé par l'armée allemande, alors que le reste du pays était en phase de libération par les Alliés. C'est à Salo, en Lombardie, que son état-major sera installé ; un Etat fasciste fantoche et éphémère dirigé par un Duce sur le point de se faire renverser, la République de Salo, ou RSI, durera quelques 18 mois, et constitue une des périodes les plus noires de l'histoire italienne et de son histoire fasciste.
Que Pasolini ait décidé de transposer l'histoire, sordide, choquante et violente, du roman de Sade (qui sera son dernier, aussi, et fut inachevé) dans cette RSI en dit long : il veut ici montrer que le Mal est partout, à toutes les époques,
et aussi, faire un parallèle entre les crimes de guerre et les crimes tout court
.
L'histoire ?
Quatre notables (un duc, un évêque, un juge, un Président de tribunal) passablement pervers signent un pacte : reclus dans un petit château situé à Marzabotto, non loin de Salo, ils vont enlever plusieurs jeunes gens des deux sexes, les séquestrer dans le domaine, et leur faire subir tous les outrages, des plus "bénins" aux plus extrêmes (sans limite), une progression en trois cercles, allant progressivement dans l'horreur la plus absolue...
Réalisé sobrement, presque d'une façon documentaire, alternant scènes de "lecture" où l'horreur passe par les mots et scènes plus visuelles qui se passent de commentaires, le film fera scandale à sa sortie, Pasolini ne pourra y répondre, étant mort à ce moment-là. A la base, ça devait être le premier volet d'une "trilogie de la mort" (ses trois précédents films, "Le Décaméron", "Les Contes de Canterbury", "Les Mille et Une Nuits", trois adaptations d'oeuvres littéraires, trois films joyeux et assez érotisés, forment la "trilogie de la vie"), je n'ose imaginer ce qu'auraient été les deux films suivants.
C'est un film violent, âpre, choquant, malsain,
et aussi très amoral, vu que le final peut laisser penser que les quatre notables s'en sortiront peut-être, on ne les voit ni mourir, ni se faire arrêter
.
Il peut rendre physiquement malade le spectateur, à certaines séquences
(la polenta cloutée, le banquet de merde, les exécutions finales observées avec des jumelles et que le spectateur voit, aussi, avec un filtre façon "jumelles", ce qui le place dans la position du voyeur pervers et accentue le malaise)
Il est clairement le genre de film que toute personne l'ayant vu n'oubliera jamais, même en le désirant très fort.
C'est un film pour lequel je n'ose dire que je l'adore, même s'il fait partie de mes films préférés. Ce n'est pas un film qu'on aime. C'est un film qui vous chope par les valseuses pendant près de deux heures, qui vous tourne dans tous les sens, vous aboie au visage, vous gifle, vous frappe, vous jette par terre, et vous fait prendre conscience que quand il le veut, l'Homme peut être une vraie monstruosité. Quelque part, c'est un film d'une grande utilité. Il faut juste s'accrocher, et attendre le bon moment pour accepter son visionnage. Car le voir, c'est signer un pacte presque similaire à celui signé au début du film par ses "héros".