Après Babylon et The Fabelmans, Empire of Light confirme la tendance récente d’un cinéma soucieux de réfléchir le/au cinéma. Sam Mendes renonce ici au spectaculaire qui définissait son geste dans 1917 ou Skyfall pour lui préférer la simplicité apparente, fruit d’une nouvelle et belle collaboration avec son directeur de la photographie Roger Deakins : les plans refusent la sophistication, les mouvements de caméra la grandiloquence, les séquences une longueur épatante ; le rythme est lent, perturbé par des assauts de détresse psychologique ou sociale.
Mendes fait le choix d’une mise en abyme du cinéma ni par une histoire du septième art – prisme adopté par Damien Chazelle – ni par la naissance d’un cinéaste – prisme adopté par Steven Spielberg – mais par le biais du lieu qui porte métonymiquement son nom. Aussi légitime-t-il l’attention qu’il porte à ses personnages, issus pour l’essentiel d’un milieu social modeste ; ce sont les petites mains, les invisibles, celles et ceux qui s’activent dans la lumière de l’entrée ou dans l’obscurité de la projection ; ce sont de petites gens qui pourtant portent en elles une complexité synonyme de grandeur lorsqu’elle se partage. Le film surprend ainsi par des protagonistes opaques et peu aimables, authentiques en somme : les troubles bipolaires dont souffre Hilary la rendent parfois antipathique et agressive, le cœur amoureux de Stephen fait des jalouses tout comme la couleur de sa peau lui attire des ennuis, Norman a abandonné sa famille sans se souvenir des raisons exactes, M. Ellis abuse de son employée pour combler l’insatisfaction que lui procure sa vie conjugale.
Le pigeon blessé apparaît dès lors telle une métaphore : le cinéma offre asile aux personnes meurtries, soucieuses de se reconstruire par ces rayons lumineux qui traversent le néant pour advenir enfin sur la toile vierge. Chaque long métrage diffusé constitue un nouveau départ en perspective, un voyage dont s’empare à terme Hilary. Nous retrouvons d’ailleurs en clausule l’image du chemin linéaire bordé d’arbres, symbole cher à l’univers de Mendes qui indique le tracé d’une liberté dûment gagnée après moult épreuves.
Pourtant, l’émotion vient à manquer. Les relations se font, se défont et se refont sans nous embarquer, la faute à une certaine froideur d’écriture ainsi qu’à une partition musicale sans âme – exit Thomas Newman ! sa poésie aurait été un atout précieux. De plus, le récit tend à se disperser dans la peinture de solitudes prises dans des enjeux politiques qui tout à la fois les concernent et les dépassent ; Sam Mendes ne laisse pas assez vivre ses séquences, souvent courtes, trop courtes. Nous sommes loin, par exemple, de la puissance de The Heart is a Lonely Hunter (1940), roman de Carson McCullers articulant avec brio trajectoires individuelles et destinées collectives en consacrant, dans la première partie, un chapitre à un personnage en particulier. Celles-ci demeurent, dans Empire of Light, assez évanescentes : elles ne marqueront ni le spectateur ni l’histoire du cinéma. Mais peut-être faut-il voir dans cette fugacité générale une qualité, la preuve que Sam Mendes peut et sait faire un petit film sans magnitude, à simple hauteur d’homme ?