Je ne pensais pas que cela arriverait un jour mais voilà, force est de constater que je sors déçu d'un film de Wes Anderson.
Déjà, et j'en avais bien conscience, le côté film à sketchs de "The French Dispatch" permettait au génie visuel du metteur scène de l'emporter sur tout le reste, avec le trésor d'un éventail de son style et de son maniérisme pour faire illusion au-delà de segments manquant d'émotions et d'autres arguments impactants (seul des plans du premier d'entre eux, qui arrivait justement à contredire cette impression générale, me sont d'ailleurs restés en mémoire). Mais, vu l'expérience unique que propose Wes Anderson avec son cinéma si atypique, j'avais préféré me faire volontairement piéger par le mirage des articles d'un journal papier ainsi portés à l'écran, les yeux éblouis par la perfection maniaque d'un nombre incroyable de scènes.
Toutefois, même si Wes Anderson revient aujourd'hui avec un long-métrage en apparence plus centré sur l'histoire d'une cohabitation fantaisiste de personnages suite à la venue d'un alien (ce cadre n'est en réalité qu'une pièce de théâtre dont un présentateur nous dévoile les coulisses durant les interludes), "Asteroid City" tend à confirmer que quelque chose est en train de se gripper au sein de son travail d'orfèvre (du moins, de mon point de vue).
Pas sur la forme, évidemment. Dans ces décors d'Amérique éternelle figée dans des couleurs pastels, le talent du bonhomme paraît une fois de plus être à son paroxysme, se montrant toujours plus inventif dans un festival de compositions symétriques, de mouvements latéraux et de trouvailles absurdes par l'image qui provoque un émerveillement constant devant la construction d'un univers forcément unique en son genre et vecteur de sourires.
De la même façon, quand "Asteroid City" s'éloigne de son cadre principal et devient une espèce de satire de la scène théâtrale new-yorkaise des années 50 (on peut y reconnaître un ersatz d'Arthur Miller et d'autres figures incontournables de l'époque) pour servir une approche méta des événements de la pièce, on se régale de la beauté de ces pastilles en noir et blanc, qui épousent elles-mêmes les effets du théâtre, avant de se replonger invariablement à l'intérieur de la bulle colorée et fantasque d'Asteroid City.
Oui, Wes Anderson est toujours au sommet de son art en termes de cinéma pur... mais "Asteroid City" nous fait demander dans quel but.
Car, si l'enfermement à ciel ouvert des protagonistes de la pièce est une logique régurgitation de notre propre période ubuesque de confinements, ce monde semble aussi rendre captif tout ce que Wes Anderson a déjà plus ou moins exploré dans ses précédentes oeuvres, où ses héros se voient immobilisés de façon à la fois littérale et existentielle, où la rencontre de diverses dépressions peut déboucher sur quelques étincelles d'espoir, où une jeunesse capable de renverser les conventions établies connaît ses premiers amours, où le spleen côtoie les aspirations innocentes pour montrer avec dérision les vicissitudes de non-sens de la folie humaine... Bref, "Asteroid City" ressemble à un pot-pourri de la filmographie de son auteur avec lequel il ne paraît plus savoir quoi dire de nouveau ou, et c'est le pire, susciter de l'émotion. À l'exception des personnages de Jason Schwartzman (un père photographe prisonnier de la mort sa femme) et de Scarlett Johansson (une simili-Marylin Monroe prise au piège de sa condition), tous deux un peu plus développés et touchants que les autres à travers leurs échanges par les fenêtres de leurs mobil-homes (une des plus belles idées du film), "Asteroid City" ne fait finalement que répéter un peu trop facilement tout ce que l'on tient comme acquis de Wes Anderson sans parvenir à le transcender ni en à dégager la même puissance d'harmonie entre le fond et le génie de la forme qu'auparavant.
Dès lors, "Asteroid City" se résume à un exercice de style certes magnifique visuellement mais pour lequel on peine en permanence à vibrer. Et, alors que les événements intrinsèques à Asteroid City se laissent malgré tout suivre avec un certain plaisir grâce aux audaces de la caméra, l'artifice méta du making-of de la pièce devient de son côté carrément lassant, comme un surplus redondant ne produisant qu'un véritable effet lors d'une superbe séquence finale de discussion d'une cage d'escalier à une autre (mais c'est malheureusement tout).
Pour conclure, le film est un peu à l'image de sa liste incroyable d'interprètes qui ferait pâlir n'importe quel directeur de casting américain actuel, une flopée d'acteurs prestigieux venus sans doute chercher autre chose dans un cinéma à part mais réduits, à quelques exceptions près, à l'état de figurants se fondant dans les décors d'Asteroid City pour ne plus délivrer grand chose, à part être positionnés comme des pantins dans l'imaginaire des plans toujours aussi somptueux d'Anderson.