La jeunesse éclate dans cette haletante histoire d’amour et de trahison en noir et blanc…
L’humour et l’amour vache, et les poncifs du machisme des loubards parigots…
Bébel fringant, nonchalant et goujat en Michel Poiccart…
Clope au bec, galure sur les yeux pour scruter les minettes… Galure en arrière et conduisant comme un dingue une belle bagnole des années 50/60…
Insolence du ton qui deviendra culte : « Si vous n’aimez pas la mer... Si vous n’aimez pas la montagne... Si vous n’aimez pas la ville : allez vous faire foutre ! »
A priori, pourtant, rien de bien moderne dans ce petit malfrat ringard… Si ce n’est qu’il incarne l'archétype du voyou individualiste… Mais Poiccard exprime aussi un scepticisme amer, le mal-être… Dans ses paroles… Et dans ses gestes surtout, comme celui de glisser son pouce sur le pourtour de ses lèvres… Un tic ? Une référence à Humphrey Boggart ? Une expression de doute en se regardant dans la glace ?
Moi, j’y vois le geste d’un homme dont le souffle se glace au travers d’un destin tragique… Tout comme les cigarettes fumées l’une sur l’autre !
A bout de souffle !
La mort proche - inéluctable.
Jean Seberg (Patricia), moderne comme tout, avec sa jolie frimousse d’affranchie et ses cheveux courts… Pas de maquillage… Allure sport…Féministe en diable dans sa façon de résister au sus-dit voyou! Et capable de dire « Je ne t’aime pas ! »…
«C’est vraiment dégueulasse » souffle Michel à Patricia…
Et ça pète de partout dans ce film incroyable…
Il le fallait… Le cinéma s’installait dans un ron-ron… Talentueux certes le ron-ron (n’oublions pas les Lautner, les Audiard…)
Mais la routine devenait pesante pour les jeunes loups des « cahiers du cinéma »
Les voitures vont vite. Les flingues parlent à deux reprises… Normal : un film noir !
Cela n’est guère novateur…
Mais le thème n’est que le prétexte…
Ici il s’agit de changer formellement le cinéma… De lui apporter un souffle de jeunesse… De lui offrir de nouvelles gammes !
Alors Godard met les pieds dans le plat et foule les conventions.
Exit les règles académiques !
Seules la rapidité et la « véracité » comptent…
Le découpage est très serré. Les plans courts, tailladés en faux raccords donnent au film un caractère urgent et haletant… En extérieur, toujours filmés caméra à l’épaule ou en travelling. Les rares plans fixes sont réservés à l’intimité, à la relation Michel-Patricia …
Tournés sans éclairage d’appoint, entièrement en lumière naturelle, les intérieurs sont parfois noyés dans le noir parfait…
Les visages qui en surgissent n’en sont que plus beaux !
Mais Godard s’autorise aussi l’emploi d’images fixes (réutilisées avec génie dans la formidable bande-annonce du film).
Le son est post synchronisé. Les comédiens disent leur texte devant la caméra pour le naturel du mouvement des lèvres… Mais en 1959 une caméra 35 mm n’enregistre pas le son ! Et le dialogue n’est mis sur bande magnétique que plus tard…
On imagine la difficulté technique…
Pourtant les dialogues semblent improvisés, très naturels… Au point qu’on peut lire, ici et là, que les comédiens, trop libres ne sont pas dirigés !
Et pour faire encore plus « naturel » Godard surajoute des bruitages, qui parfois vont jusqu’à noyer le dialogue…
Naturels et décalés les dialogues : le style « Godard » est né.
BO splendide signée Martial Solal… Et elle n’est jamais en doublon, en redite avec l’image.
On aime ou l’on n’aime pas Godard !
Évidemment !
Son talent est si grand qu’il est à la fois nécessaire et discutable…
Beau, laid, vieux, jeune, comme l’opposition dans la chambre de Patricia entre Picasso et Renoir…
Mais INCONTOURNABLE !