Approuvé comme un génie sans faille après sa trilogie Cornetto, dont je suis fou d'amour ("Hot Fuzz" incroyable comédie, "The World's End" incroyablement touchant), mon rapport à Edgar Wright est peut-être inutilement complexe, mais j'ai commencé à prendre mes distances avec le bonhomme lorsque à débuté sa période américaine. J'apprécie sans plus "Scott Pilgrim VS The World" que je trouve visuellement fascinant, mais qui, malgré mon amour du jeu vidéo, me touche un peu, mais sans plus. L'objet de la discorde fut "Baby Driver" dans lequel je ne me suis jamais senti investi et où je trouvais qu'il employait son style de la manière la plus forte possible afin de ne pas être dépassé par un genre de films où il faisait ses premières armes.
Me faisant ensuite la même réflexion rétrospectivement sur "Scott Pilgrim", j'ai commencé à me façonner une image imparfaite de ce cher Edgar : il a un style propre à lui, avec son travail minutieux du cadre et du rythme, sublimé par son amour de l'utilisation de la musique préexistante pour composer des instants forts. Avec ce style, il a envie d'explorer des genres cinématographique multiples pour poser sa patte dessus (déjà le cas sur la trilogie Cornetto), mais depuis 2 films et notamment "Baby Driver", je trouve qu'il pousse son style jusqu'à la surcharge, pour cacher certaines faiblesses de scripts et s'assurer que oui, ce sera bien un film d'Edgar Wright, et non pas un film geek ou un film de braqueurs "par Edgar Wright".
Mon amour est ainsi devenu un peu fade, et malgré le retour d'une histoire 100% tournée en Angleterre, je n'avais aucune attente pour "Last Night In Soho", et je n'étais pas plus motivé que ça à voir le film. Mais maintenant on y est, je l'ai vu, et je vais essayer de retranscrire comment j'ai vécu cette expérience d'Edgar Wright s'essayant au genre du thriller horrifique.
Jouant sur notre conflit avec la nostalgie dans notre époque bien triste et abreuvé de technologie, la première partie du film est une grande réussite qui m'a engagé avec passion. Dès la première scène, le style de Wright explose et on comprend tout ce qui traverse la vie d'Eloise, campée par une Thomasin Mckenzie en puissance. Froid et pessimiste face à notre monde actuel, Wright joue sur sa promesse et nous fait attendre le moment où le passé fera son entrée. Une fois transporté dans les années 60, le film devient tout simplement sublime, combinant avec intelligence le travail du mouvement, de la couleur et de la lumière, et des effets spéciaux que j'ai trouvé assez simples mais très impressionnants.
La découverte de Sandy (Anya Taylor-Joy, toujours aussi incroyable) mettra en place le pont entre les époques, qui nous fera comprendre progressivement qu'aucune époque n'est parfaite, que la nostalgie n'est parfois qu'une illusion construite sur un fantasme soit de ce qu'on a oublié, soit de ce qu'on aurait voulu connaître, et qu'il faut faire le tri entre le pire et le meilleur de chaque époque pour pouvoir se construire et devenir maître de notre temps. Le ping-pong entre le jour et la nuit et comment cela impacte Éloïse est propre, et on la ressent tellement quand elle voit les espoirs de Sandy se mourir doucement (la séquence "Puppet on a String" ne veut pas quitter mon esprit). Wright juge autant le harcèlement scolaire moderne orchestré par des femmes récupérant le langage progressif actuel pour rendre plus subtiles les insultes que la capacité des hommes des sixties à penser la femme comme un objet acquis, trop présente encore aujourd'hui.
Inutile de développer sur l'aspect visuel, c'est tout simplement sublime : mélangeant les couleurs avec intelligence, plaçant de discrètes références aux Giallos et même à l'enfer de Clouzot le temps de quatre secondes, reconstituant le passé avec brio, le travail des décors et des costumes n'étant pas en reste, Wright est comme toujours présent en force et son style ne lui fait pas défaut. Pour l'instant.
Cette critique, dont le pessimisme s'accentue scène après scène, aurait pu continuer dans cette voie tout en équilibre, mais la deuxième partie du film pointe maintenant le bout de son nez pour nous rappeler qu'on a payé pour un film d'horreur. Vous le voyez peut-être venir, mais c'est là que pour moi le film baisse drastiquement en qualité et que mes griefs envers ce cher Edgar sont revenus en force. Jouant sur un chaos psychologique de plus en plus insistant, les bonnes idées se répètent encore et encore sans proposer du neuf, et il use jusqu'à la décomposition de très bonnes idées installé en première heure. L'apocalypse des couleurs forme une compote de plus en plus indigeste, les effets de style de l'horreur s'empilent, et la musique s'enchaîne dans un bordel constant. Il en va de même pour le propos féministe du film, qui bien que subtil en première partie, pourra finir par en laisser certains perplexes tant il peut devenir maladroit dans son traitement. Le film avance, et ne devient qu'un film d'horreur essayant d'être aussi efficace qu'un "Conjuring" mais avec son style unique, cette critique atteignant son apogée dans le final.
Je mentirais en disant que je n'ai pas été investi durant la deuxième heure, avec des moments de malaise très réussis, mais une fois l'émotion passée et que je me re-penche dessus, je me retrouve à soupirer quand je me rends compte que le problème se répète encore : cette partie horrifique fonctionne finalement bien peu, tant, encore une fois, Wright gonfle son style pour être sûr que ça passe, tuant à petit feu ce qui a été construit avant. Les hommages perdent en valeur, le propos devient confus, son style est de moins en moins percutant et la subtilité s'écroule jusqu'à atteindre un instant de dialogue ridicule que je ne prendrais même pas la peine d'expliquer, même pas en section spoil.
"Last Night In Soho" relève mon appréciation pour Wright avec sa première heure qui dépasse de loin sa période américaine, mais ma déception grandissante pour la deuxième heure ne me fera pas accorder le pardon. Je resterai donc sur mes opinions concernant ce génie "infaillible" dont j'aimerais apprécier les films sans être parasité par toutes les craquelures qui compose ses dernières œuvres.