Inattendues mais heureuses retrouvailles avec le cinéma de Jonathan Glazer, 11 ans après le choc Under The Skin. À l'époque, je m'étais jeté corps et âme dans la gueule de son brûlot de science-fiction abstraite et sensorielle sans la moindre information à son sujet.
Grand Prix du festival de Cannes en poche, cette Zone d'intérêt porte depuis bien son nom tant l'effervescence à son sujet relève de l'exploit pour un film indépendant comme celui-ci. Fait notable, le livre de référence, à priori foncièrement mauvais et qui se basait sur un triangle amoureux, n'a servi que de caution et de prétexte à Glazer qui n'en a conservé que l'unité de lieu.
J'avais choisi d'attendre le bon moment avant de donner sa chance à ce nouvel essai, nourri par un espoir mais aussi une crainte :
L'espoir de revivre un geste de cinéma radical comme avec Under The Skin d'une part, mais aussi une crainte, celle d'un dispositif si fort, qu'il s'essoufflerait trop vite tout en étouffant le reste d'autre part. Fort heureusement, il n'en est rien.
Nous retrouvons quelques éléments familiers, propres au cinéma de son auteur, comme l'entrecoupement de la trame principale par des moments d'abstractions récurrents, en rupture avec le reste du métrage, tous bâtis autour de cartons noirs, rouges et blancs, pas sans rappeler un certain drapeau. Dès le début du métrage, le rythme nous est imposé. Glazer ouvre le bal sur un monochrome surplombé par la musique expérimentale rallentendo de sa compositrice attitrée, Mica Levi.
Verdict ? Le film réussit l'exploit, de par sa narration, l'épaisseur donnée à ses personnages ou encore l'approche voyeuriste dans la disposition des caméras, toujours à distance, à nous faire regrettablement oublier, par moments, le contexte dans lequel nous évoluons. Ainsi chaque irruption du hors-champ, qu'elle soit visuelle ou auditive, est un électrochoc, un rappel à l'ordre brutal et répulsif pourtant dépourvu de toute violence graphique. Ces incursions venant rompre la partition (en surface) millimétrée, suivie tambour battant par la famille Höss.
Renforcée par la sublime, mais tout autant clinique photographie de Łukasz Żal, la sensation de vase clos, mis à part quelques excursions en nature, réduit malgré eux les protagonistes et leurs environnements à leurs strictes fonctions : travail, rôle familial, maison comme forteresse. Cette illusion trouvera un point de rupture en la personne de la mère de Mme Höss.
Sans jamais diaboliser, Glazer choisit de poser son regard sur les bourreaux et présente la vision Nazie dans toute son implacable froideur, évoquant frontalement sa portée industrialiste, réduisant ses victimes à de vulgaires ressources, vidées de toute substance et d'humanité. La mise en garde vis-à-vis de toute forme de rédemption salvatrice termine son propos sur une régurgitation qui ne viendra finalement jamais.
Par légères touches, le film laisse entrevoir les failles et paradoxes de ce codex de fantasmes faussement purs sur lesquels se fonde cette idéologie : Comme l'acceptation aveugle de la solution finale qui reste malgré tout, gardée à l'étage, derrière des rideaux soigneusement fermés. Représentation filmique des Singes de la sagesse ? Ou encore l'exacerbation du côté carriériste des individus dans un contexte fasciste qui prône pourtant, l'union sacrée autour de valeurs et de rejets communs.
Enfin, en sous-texte parcourant le métrage, on nous rappelle que l'Histoire, si elle est oubliée, ou simple considérée comme passée, est vouée à se répéter. Pour simple avertissement, le mimétisme sourd des enfants qui répètent et conçoivent par habitude.