Scène de piquenique bucolique au bord d’un lac, suivant un écran vide gris foncé pendant plusieurs minutes, assez insupportable. Un chant d’oiseau et cette famille heureuse au bord du lac…ainsi débute « La zone d’intérêt » du réalisateur britannique Jonathan Glazer…retour du lac en Mercedes noire siglée SS dans une villa où un père de famille aimant reçoit ses cadeaux d’anniversaire…quand arrivent des ingénieurs glaçants, spécialistes de l’optimisation de l’extermination des déportés…Madame, Hedwig, veille sur sa petite famille, ses cinq enfants, fait admirer son jardin à sa petite dernière comme à sa mère venue d’Allemagne la visiter… Pourtant, si on regarde bien, si on écoute bien, il n’est pas certain que, concernant ce lieu d’habitation, l’on puisse retenir le terme « paradis ». En effet, de l’autre côté du mur qui borde un des côtés du jardin, il faut être aveugle pour ne pas voir un mirador, pour ne pas voir de la fumée s’échapper d’une cheminée, et il faut être sourd pour ne pas entendre un certain nombre de bruits qui ne présagent rien de vraiment sympathique : des cris, des coups de feu, des ordres, des chiens qui aboient, des trains qui partent ou qui arrivent. Tout cela n’a rien d’étonnant, puisque l’action se déroule dans ce que les nazis ont appelé « la zone d’intérêt », une zone de 40 km2 entourant le camp de concentration d’Auschwitz et que, de l’autre côté du mur, se trouve le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, qu’on est au début des années 40 et que, si la famille Höss a droit à une si belle demeure, c’est parce que le SS-Obersturmbannführer Rudolf Höss est le commandant de ce camp. Un camp d’Auschwitz, qui tourne à plein régime mais qui reste hors champ… à l’exception de quelques incursions dans le bureau de Höss, bureau dans lequel cet excellent mari, ce père de famille exemplaire, se permet quelques familiarités avec une jeune déportée, d’un côté la vie d’une famille modèle dans l’esprit du national-socialisme, plutôt petit bourgeois, de l’autre l’usine de la mort…d’un côté une image faussement innocente de colons aryens , de l’autre le son terrible de la réalité et ces panaches de fumée… Hedwig, vit à 50 mètres de l’horreur mais elle ne cherche pas à savoir ce qui se passe de l’autre côté du mur, un mur qu’elle s’est efforcée de cacher en plantant une vigne. Tout juste dira-t-elle à sa mère venue la visiter que, de l’autre côté du mur, il y a, peut-être, une femme chez qui sa mère faisait les ménages…. Ce couple Höss est magistralement interprété par Christian Friedel et Sandra Hüller qui réussit l’exploit d’être présente (et remarquable !) dans les deux films qui ont le plus marqué le Festival de Cannes 2023, « La zone d’intérêt » et « Anatomie d’une chute », mais qui a été privée du Prix d’interprétation féminine qui lui tendait les bras par le règlement relativement récent qui interdit de donner un prix d’interprétation à un ou une interprète du film ayant obtenu la Palme d’or. Là elle est parfaitement transformée en mutti allemande, blonde à la coiffure macarons, souliers plats, démarche gauche…si bien que je n’ai pas spontanément reconnu la Sandra de « l’anatomie d’une chute » … Quand son mari est promu quelques temps pour un autre job, Hedwig se bat pour rester à Auschwitz avec ses enfants et elle y parvient…Je n’ai pas tout compris dans ce film, notamment ces séquences en noir et blanc où l’on voit une jeune femme monter dans un terrain accidenté, cacher quelque chose dans un talus, veut-elle entrer dans le camp ? Sauvez les déportés ? Symbolise-t-elle la honte cachée d’Hedwig ? Mystère, comme cette disparition de la mère de Hedwig, a-t-elle perçu la réalité d’au-delà du mur ? Il n’empêche, « La zone d’intérêt » est un film remarquable, un film qui se voit, un film qui s’écoute, un film magistralement interprété et qui fait réfléchir quant au potentiel de cruauté et de négation dont peut faire preuve l’espèce humaine.