Zone of Interest réalisé par Jonathan Glazer vient marquer ce début d’année 2024 par l’atroce simplicité de son récit. Après Under the skin (2013), Jonathan Glazer explore à nouveau le thème de l’impassibilité face à l’horreur en reprenant cette fois ci l’histoire vraie d’une famille arienne des années 1940 dont le père, Rudolf Höss était le commandant du terrible camp d’extermination d’Auschwitz collé à sa jolie maison familiale.
Un quotidien banal, une belle maison, un beau jardin. C’est ce qu’on voit à l’image pendant pratiquement tout le film. Mais alors pourquoi l’horreur de la Shoah est-elle si bien et si atrocement représentée ? La réponse à cette question tient tout simplement en un mot : la suggestion. En effet, Jonathan Glazer base tout son film sur ce concept. Non, on ne voit pas un seul cadavre, non on ne se trouve jamais vraiment au sein même du camp d’Auschwitz et pourtant on en ressent toute l’horreur. Un cri, un coup de feu, ou encore la fumée noir s’échappant du camp suffise à nous faire comprendre ce qui est entrain de se jouer pendant que madame Höss se prélasse au bord de sa piscine. Le film n’a pas besoin de nous montrer l’horreur de cette extermination de masse, les cours d’histoire, les documentaires, ou même encore les nombreux autres films sur ce sujet l’ont déjà fait. Cette fois ci, nous allons suivre une famille nazie vivant la belle vie, nous allons suivre le quotidien d’une parfaite arienne interprétée par une Sandra Hüller aussi impeccable que glaçante. Nous allons suivre l’évolution professionnelle d’un père de famille. Mais cette banalité n’est ressentit que par les personnages du film. Le spectateur, lui, constate avec horreur qu’il était possible de vivre la belle vie à quelques mètres d’une des plus grandes atrocité de l’histoire. Jonathan Glazer prend donc le partit de ne jamais identifier le spectateur aux personnages. La caméra est ici vue non pas comme une allié de cette famille mais plutôt comme une espionne éloignée qui ne va jamais se rapprocher de ses sujets. On voit toujours ces personnages de loin, on ne rentre pas dans leur subjectivité, on ne s’identifie aucunement à leurs émotions, ils sont comme des étrangers malsains. Le film joue également brillamment sur la profondeur de champ. Au premier plan, un jolie jardin, une famille heureuse, au second plan un mur glaçant surplombé par des fils barbelés, et au troisième plan une fumée noir nous rappelant les fours crématoires s’échappant du camp. Un malaise se fait ressentir tout le film, rien n’est montré, tout est suggéré. Ce malaise, on le ressent peut être justement parce que les personnages, eux, n’en ressentent aucun (sauf peut-être le personnage de la maman de Hedwig). Ils se préoccupent plus de leurs petits problèmes quotidiens que de ce qui est entrain de se passer juste à côté de chez eux. Il est donc impossible de ressentir de l’empathie pour eux. Un fondu au rouge, un gros plan sur des cendres, le nouveau manteau de madame Höss, le film vient toujours habilement nous rappeler ce qui est vraiment entrain de se jouer en distillant des éléments narratifs, visuels ou sonores pour toujours nous ramener à la réalité. Non, nous ne suivons pas une histoire banale.
Cependant, le film s’étire beaucoup en longueur. Au bout de 15 minutes, le concept est compris, et pendant presque tous le film on a comme l’impression que ça tourne en rond, on enchaîne actions banales sur actions banales et on se demande si l’intrigue va finalement avancer. Heureusement, la mutation de monsieur Höss vient non seulement faire bouger un peu l’histoire, mais elle vient aussi nourrir la réelle intelligence narrative du film. On nous fait faussement croire que c’est l’évènement perturbateur, le point le plus dramatique du film et ça le serait si l’intrigue se déroulait dans une autre famille à une autre époque. Mais là, les pleurs de madame Höss viennent alimenter le malaise ressentit.
Le film apporte donc une réelle réflexion sur l’humain et sa manière de s’adapter aux plus atroces des situations en prenant le partit de banaliser la vie de cette famille, de banaliser le travail du père, jusqu’à en choquer le spectateur. C’est un électrochoc car on se demande si au quotidien, encore aujourd’hui nous ne ferions pas tous cela à moindre échelle, s’habituer au mal.