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    La Zone d'intérêt
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    RedArrow
    RedArrow

    1 541 abonnés 1 496 critiques Suivre son activité

    5,0
    Publiée le 5 février 2024
    Quelques minutes d'écran noir où les sons et la musique se font anxiogènes pour n'importe quelle oreille humaine.
    Et puis vient l'image, un cadre bucolique, une sortie familiale paisible au bord d'une rivière, les enfants jouent, les parents discutent de tout et de rien... Les épisodes d'un quotidien banal se mettent à s'enchaîner mais la froideur du regard qui se pose sur eux, cette impression que chacun de ses membres est scruté comme s'il était une souris de laboratoire enfermée dans la cage d'une présence omnisciente, est palpable.
    Car l'innommable est bien là, distribué par touche, au travers d'un uniforme, d'une silhouette cadavérique, d'une fumée qui s'empare du ciel ou de sons qui ne font pas mystère de leur teneur, mais, alors que chacune de ses composantes devrait être a minima un électrochoc sur ces personnages, il est devenu pour eux un décor, un banal arrière-plan dans lequel ils évoluent comme si de rien n'était, comme si la bulle de leurs petites existences insignifiantes était parvenue à assimiler une des plus terrifiantes atrocités de l'Histoire de l'humanité à un tel degré de normalité qu'elle en était de fait rationnelle, invisible et acceptée.

    Devenu quelque part lui-même l'extraterrestre qu'il mettait en scène sous les traits de Scarlett Johansson dans "Under the Skin", Jonathan Glazer pose en effet sa caméra en plein centre du camp d'Auschwitz en 1943, nous immerge de façon clinique dans l'espèce de microcosme affolant d'images d'Épinal familiales issu de la petite vie tranquille du responsable de cette usine à massacres de masse, symbolisée par un jardin paradisiaque au milieu de l'Enfer déchaîné sur Terre, pour s'interroger -nous interroger- sur ce renversement complètement fou, absurde, par lequel l'Homme peut accepter l'inacceptable dans la répétition d'un quotidien qui s'est mis à l'intégrer comme une simple couleur supplémentaire à sa toile de fond. Et, en harmonie avec ses magistrales idées en scène pour dévoiler le pire sans le montrer (préparez-vous à un lot affolant de séquences qui vont vous poursuivre bien après le visionnage du film, mention spéciale à celle du cigare), son parti pris narratif est au moins tout aussi dingue et étonnant: traiter l'existence de ces protagonistes telle qu'ils la vivent, faisant suivre à son long-métrage un arc dramatique tout bonnement ordinaire -une mutation professionnelle qui perturbe l'équilibre de la famille- où viennent sans cesse se greffer les horreurs effarantes de ce contexte sans qu'elles ne parviennent à les faire dériver de leurs préoccupations futiles.

    Là où aujourd'hui tant choisissent la voie de la démonstration explicite pour espérer créer un semblant de choc, le procédé de Glazer s'avère être un véritable coup de génie, une claque incroyable, qui nous met inévitablement à terre par sa froideur, nous révolte par l'ignominie de l'absence de réactions à laquelle on assiste et nous laisse terrassés, impuissants, face à la taille des oeillères que peut consciemment -puis inconsciemment par la répétition sur la durée, et c'est peut-être encore pire- revêtir l'humain devant une abomination pour assurer égoïstement le fil continu de ce qu'il juge important pour son bien-être. Si quelques très rares lueurs d'espoir viennent émailler le récit (notamment une forme d'aide qui est vue, elle, comme presque irréelle, extirpée de l'imaginaire d'un conte de fée), le film ne fait que s'enfoncer, à l'instar de ses protagonistes, dans cet aveuglement toujours plus croissant et terrifiant, l'élargissant bien sûr à une corporation nazie en forme d'administration infernale où la promotion s'effectue via le nombre de victimes, mais aussi et avant tout aux agissements de son couple à travers le temps, avec une complaisance qui rime bien trop avec une recherche d'épanouissement personnel sidérante dans cette situation.

    Enfin, là où on pouvait légitimement se demander comme Jonathan Glazer allait conclure cette visite dans les tréfonds les plus glaçants de l'âme humaine, le réalisateur achève son adaptation du livre de Martin Amis comme il l'a menée, par la porte de sortie la plus brillante qu'il soit: un rappel de ce qui a subsisté dans les mémoires quand les murs autour de l'horreur ont été levés par opposition aux ténèbres qui ont recouvert ceux qui avaient choisi de rester impassibles devant son aspect inquantifiable.

    On emploie rarement le terme de chef-d'œuvre mais le quatrième long-métrage de Jonathan Glazer y ressemble en tout cas vraiment beaucoup. Un choc incontournable de 2024.
    Henner
    Henner

    44 abonnés 71 critiques Suivre son activité

    2,5
    Publiée le 31 janvier 2024
    Ce n’est pas parce que l’on tient un sujet fort que le film est réussi . Bon c’est très bien réalisé, très bien joué mais avec des séquences difficilement compréhensibles et bizarrement l’émotion ne passe pas . C’est ce m’ont confirmé des spectateurs à la sortie du film. Le propos ne se développe pas.
    Tout est dit en un quart d’heure et ensuite on tourne un peu en rond.
    Philippe C
    Philippe C

    81 abonnés 1 011 critiques Suivre son activité

    3,0
    Publiée le 13 février 2024
    une fois compris le procédé consistant à parler de l'horreur des camps, sans vraiment en parler mais seulement en la suggérant en arrière plan de cette vie de famille presqu'ordinaire du chef de camp dans sa villa au grand et beau jardin, avec ses enfants et domestiques, ses rares loisirs et son obsession de la productivité, on ressent comme un malaise, celui de ne rien ressentir !

    La scène la plus forte du film est certainement la dernière qui se déroule à Auschwitz à l'époque actuelle.
    QuelquesFilms.fr
    QuelquesFilms.fr

    229 abonnés 1 599 critiques Suivre son activité

    4,5
    Publiée le 20 février 2024
    C’est une plongée très dérangeante et très impressionnante dans la vie quotidienne du commandant du camp de concentration d’Auschwitz, Rudolf Höss, et de sa famille, côté vie domestique, sans jamais mettre un pied ni un œil de caméra dans le camp. Une incursion dans un confort bourgeois obscène et cynique à quelques mètres de l’horreur absolue. Jonathan Glazer et son équipe technique ont envisagé ce contraste avec une précision clinique et un minimalisme choc : sens géométrique du cadre et de la composition, suggestivité terrible du hors-champ, musique inconfortable. Chaque scène, chaque mot, chaque détail visuel ou sonore a été méticuleusement pensé pour faire sens. Faire sens en évoquant la banalité du mal tout en montrant un mal qui ronge les êtres de l’intérieur (dans la dernière partie du film), un bonheur de façade qui abrite une indifférence relative selon les personnages, une déshumanisation et une indécence, un déni ou un dégoût. Faire sens en questionnant aussi, peut-être, par transposition, notre propre rapport aux horreurs du monde, notre capacité à les tenir à une distance plus ou moins confortable.
    La Zone d’intérêt (le titre reprend le nom donné par les nazis au périmètre de vie entourant les camps de la mort), au-delà d’offrir un angle inédit au cinéma sur la monstruosité de la Shoah, est un film d’une intelligence, d’une originalité (avec quelques passages expérimentaux) et d’une perfection technique rares. Rares et glaçantes.
    Côté interprétation, il y a quelque chose de fascinant dans le travail corporel de Sandra Hüller.
    Les sorties de Philippe
    Les sorties de Philippe

    38 abonnés 50 critiques Suivre son activité

    2,0
    Publiée le 1 février 2024
    La vie quotidienne de la famille de Rudolf Höss, le chef du camp d’Auschwitz pendant la guerre, dont la maison se trouve juste à côté. On ne voit jamais le camp, mais on entend des cris, des coups de feu, on distingue juste de longues cheminées… Un pari radical, mais pour dire quoi ? Le film est très esthétisant mais creux, sauf vers la fin où l’on voit Rudolf Höss au travail avec d’autres chefs nazis à Orianienbourg, près de Berlin, pour organiser l’extermination des Juifs hongrois en 1944. Le film s’inspire alors de La Conférence (i.e. de Wannsee, sorti le 23 avril 2023), une remarquable réussite, lui. Long plan noir au début, musique bizarre, ça ne colle pas. spoiler: Fin très ambiguë où Höss, pris de vomissements, passe en mode introspection et l’on voit Auschwitz aujourd’hui nettoyé par des femmes de ménage. Un remord, sérieux ? J’aurais préféré que l’on voit les images de sa pendaison dans le camp lui-même en 1947, le poids de la justice c’est mieux, et ça aurait fait une frappante ellipse narrative, bref.
    Redzing
    Redzing

    942 abonnés 4 304 critiques Suivre son activité

    5,0
    Publiée le 5 février 2024
    Réalisateur peu prolifique, Jonathan Glazer a le mérite de secouer à chaque fois. Vous pensiez avoir tout vu sur la Shoah ? Le Britannique va vous prouver le contraire...
    "The Zone of Interest" chronique le quotidien de la famille Höss, qui vit paisiblement... à côté de l'enceinte d'Auschwitz. Et oui, le funeste Rudolf Höss n'était autre que le commandant du camp, tristement célèbre pour son "efficacité".
    Pour ma part, ce film a particulièrement résonné puisqu'il m'a un peu évoqué mon enfance (!). J'ai grandi dans une maison de cadre proprette, à deux pas d'une usine pétrochimique. Très loin de moi l'idée de mettre la pétrochimie et la Shoah sur le même plan, mais j'ai retrouvé des choses similaires.
    L'insouciance des enfants à ce qui se passe, les "cadeaux" de l'entreprise, les mauvaises odeurs certains jours, le bruit de fond qui finit par devenir inaudible, les balades au milieu de retenues d'eau souillées par les effluents, la vue sur les cheminées...
    Ce portrait cru m'a ainsi paru aussi fort que réaliste. La plongée dans la famille Höss est saisissante. Avec notamment cette matrone ignoble incarnée par l'excellente Sandra Hüller. Et la psychologie de ces gens, pour qui la vie de déportés ne vaut rien, et qui ne se préoccupent que de choses superficielles.
    Mais l'ensemble est beaucoup plus intelligent qu'une simple critique de l'élite nazie. C'est une vision clinique de l'intérieur (ou plutôt de l'extérieur ?) sur l'une des machines de mort les plus terrifiantes jamais mises en place par l'Humanité.
    La photographie naturelle, et ce jardin paradisiaque, tranchent totalement avec ce qui passe de l'autre côté des clôtures, évoqué presque uniquement en hors champs. Glazer a laissé de nombreux détails funestes en arrière-plan (ces trains qui déboulent sans arrêt !). Tandis que le montage sonore est génial. Laissant deviner en quasi-permanence des cris, des tirs, de la souffrance... bref les rouages de l'industrie de la mort. Rien que ce montage sonore vaut le coup d'être découvert en salles.
    Avec en prime des idées de mise en scène brillantes. Et une réplique qui, je l'avoue, m'a fait m'esclaffer tout seul dans la salle... Humour absurde auquel le public était trop sonné pour être réceptif, ou mauvaise interprétation de ma part, je l'ignore...
    "The Zone of Interest" a été pour moi une grosse claque, qui secoue autant qu'elle fait froid dans le dos. Le film divisera sont public, mais il aura le mérite de ne laisser personne indifférent.
    Michèle G
    Michèle G

    34 abonnés 26 critiques Suivre son activité

    5,0
    Publiée le 26 janvier 2024
    Ce film de Jonathan Glazer est un choc cinématographique. Ce chef-d’œuvre, d’une puissance « sourde », nous propulse dans le périmètre d’un espace clos où le hors-champ deviendra « visible » grâce à la bande son.

    Là où Hannah Arendt parle de « banalité du mal », Jonathan Glazer, lui, filme la banalité d’un quotidien dans la matrice et les viscères de ce même mal.

    Le quatrième long-métrage de ce cinéaste, bien trop rare, nous conduit de l’autre côté du mur du camp d’Auschwitz, dans l’enceinte quotidienne de la demeure où vit Rudolph Höss avec sa famille.

    Tout ce qui se passe de l’autre côté de ce mur gris, réhaussé de fils barbelés, restera hors-champ. Ne seront visibles à l’image que le faîte des baraquements jalonnant ce mur et une cheminée. La caméra restera d’un seul côté du mur, celui où le quotidien de la famille Höss va se dérouler dans l’indifférence de l’horreur qui l’entoure. Seule la fumée viendra par intermittence « troubler » la quiétude des lieux.

    Dès le générique début nous pénétrons dans une zone grise. Lorsque s’inscrit le titre du film, les lettres qui le composent sont peu à peu absorbées par un fond gris, jusqu’à leur effacement total ; nous laissant face à cette couleur dont l’unique présence envahit l’écran un temps qui semble infini.

    Césure. Le premier plan s’ouvre sur l’univers bucolique de la famille Höss qui se prélasse au bord de l’eau. La bande son est minimale, laissant la pleine place à une image silencieuse.

    Chaque plan va peu à peu nous renvoyer l’atmosphère d’une vie programmée dans la méticulosité d’un quotidien où Hedwig, la femme de Höss, interprétée par Sandra Hüller, va régner sur « son Éden », comme elle qualifiera leur demeure, pendant que son époux règne en maître bourreau sur le camp d’Auschwitz.

    L’image a beau ne rien nous montrer de ce camp, le diable est dans les détails. Et certains renvoient symboliquement à tout ce qui se passe de l’autre côté du mur. Il y a notamment cette piscine, qui fait la fierté du couple, et au-dessus de laquelle retombe, comme une fleur fanée, une pomme de douche.

    Un soir, lorsque toute la famille est couchée, le personnage de Rudolf Höss, interprété par Christian Friedel, déambule dans le jardin et referme d’un geste machinal le robinet de cette douche que quelqu’un n’a pas bien refermé. Un peu comme si rien, absolument rien, ne devait perturber l’ordre des lieux, ni troubler le sommeil de cette famille.

    Cette piscine est aussi un marqueur temporel des saisons. L’été finit par céder sa place au plein hiver. L’eau du bassin est gelée. Les enfants jouent avec la neige. L’un d’eux évoque sa bravoure d’avoir affronté ce froid pour le simple plaisir de jouer avec cette neige qu’il aime tant. Si rien d’autre n’est dit, tout est dit par cette image qui parle d’elle-même. D’instinct, cette neige, ce froid, la glace, nous propulsent implicitement de l’autre côté du mur.

    Si le jour, Hedwig Höss règne en maîtresse de maison sur cette demeure, la nuit, le maître et bourreau des lieux, en devient l’unique protecteur.

    Une scène en souligne le mécanisme pathologique, lorsqu’à la nuit tombée Höss éteint une à une les lumières de chaque pièce, alors que tous dorment. Tout le temps que va durer cette scène, la caméra restera à l’extérieur, filmant en plan fixe la façade de cette demeure dont la vision intérieure n’est visible que par les ouvertures que laisse entrevoir chaque vitre éclairée. Dans le périmètre de ce plan fixe, un seul mouvement, lent, rituélique, celui de Höss se déplaçant d’une pièce à l’autre, jusqu’à cette montée d’escalier le conduisant à sa chambre, où il finira par éteindre une ultime lumière… Fondu au noir sur la nuit sombre d’Auschwitz.

    Une autre nuit, on le suivra dans un mouvement névrotique similaire, cette fois à l’intérieur de la maison où il refermera méticuleusement un à un tous les verrous de chacune des portes menant vers l’extérieur ; inversant ainsi dans son propre espace, la notion de menace et de danger.

    Ce film nous conduit au cœur d’un univers totalement déshumanisé, auquel la femme de Höss non seulement contribue, mais va s’accrocher ; au point de ne pas suivre son mari le temps de sa mutation provisoire. Ce seul temps, sera celui où la caméra suivra Höss dans un espace extérieur à sa demeure familiale.

    Cette atmosphère terrifiante de déshumanisation du couple Höss est un mal qui semble avoir contaminé l’ensemble de la famille. Les dents d’or qu’ausculte l’aîné avec une lampe de poche, la nuit dans son lit, est une scène aussi glaçante et déconcertante que cette autre scène où l’un de ses jeunes frères, dérangé dans son jeu par ce qu’il entend à l’extérieur, s’approche de la fenêtre de sa chambre et finit par marmoner mécaniquement sa propre sentence sur ce que lui renvoient en son imaginaire, les sons et cris qui proviennent du camp. Il retournera à son jeu, comme si ce qui se passait de l’autre côté du mur en faisait partie !

    Jonathan Glazer plante sa caméra au cœur d’une plaie, celle d’un mal que l’on croyait avoir vaincu. Mais en ces temps, où le populisme se banalise, où certains réécrivent l’histoire, à faire fi du travail de mémoire, de nouveaux murs s’érigent. Et les plaies s’ouvrent une à une. Demeure la puissance mémorielle de la création… comme un baume.
    Chris58640
    Chris58640

    185 abonnés 731 critiques Suivre son activité

    4,0
    Publiée le 31 janvier 2024
    Le film de Jonathan Glazer ne va laisser personne indifférent. Grand Prix du Jury au dernier Festival de Cannes, « La Zone d’Intérêt » est un film assez déroutant, non pas sur le fond mais sur la forme. Car autant le dire d’emblée, pour qu’il n’y ait aucun malentendu, il n’y a pas à proprement parler de scénario dans ce film, pas d’intrigue avec un début, un milieu et une conclusion. « La Zone d’Intérêt » ne raconte pas une histoire, elle raconte l’Histoire et d’une façon très particulière. Déjà, le film s’ouvre sur un interminable écran noir, et on est envahi de sons que l’on ne peut identifier. Un long écran rouge apparaitra à mi-film, puis il se terminera à nouveau sur un long écran noir. Parce que l’indicible, le in-filmable, Glazer a choisi de n’en rien montrer mais de tout suggérer. La camera ne fraichira qu’une seule fois le mur d’enceinte, à la toute fin, pour une scène contemporaine qui glace le sang. Mais sinon, pendant tout le film long de presque 2 heures, tout est suggéré. D’abord par le son, cet arrière fond sonore insupportable qui, très atténué dans le film en terme de puissance sonore mais totalement permanent : des coups de feu, des ordres aboyés, des cris, des pleurs, et mêmes des sons que l’on n’ose pas identifier, pétrifié dans notre fauteuil de cinéma. Ce bruit de fond, les Höss ne semblent ne plus y faire attention. Mais pour nous il prend toute la place et il en devient assourdissant, au point d’occulter les dialogues lénifiant de cette bonne allemande bon teint, spoiler: qui sait parfaitement bien ce qui se passe de l’autre côté du mur.
    Et en plus du son, il y a les détails, les arrière-plans : la fumée noire de cheminées, le sang sur une botte, les cendres qui retombent sur les jolies plantations, les panaches des trains qui arrivent et repartent à une cadence infernale. Jonathan Glazer décide de jouer à fond la carte du contraste, entre le charmant au premier plan et l’abominable au second, et là encore, forcément, l’arrière plan, prend toute la place. C’est normal, c’est le but recherché : le malaise chez le spectateur est permanent devant ce contraste ultra-dérangeant poussé à l’extrême. Il y a une poignée de scènes peu évidentes à décrypter, et notamment celles filmées en « négatif » spoiler: où on voit une enfant déposer des offrandes dans des fosses communes recouvertes de terre. On peut les interpréter comme on veut, puisque rien n’est expliqué. Est-ce le cauchemar récurrent de la petite Höss, somnambule, inconsciemment perturbée par la situation ? Elle semble bien la seule,
    car pour les autres, enfants en âge de comprendre inclus, ce qui se passe dans le camp est parfaitement accepté. Madame essaie des jolis manteaux de fourrure que lui apporte son mari, les garçons examinent des dents en or, madame menace sa bonne polonaise de la réduire en cendre : de bons nazis bon teint, parfaitement endoctrinés, probablement irrécupérables. Et puis il y a la belle-mère, en séjour dans la belle maison. Surement le personnage le plus intéressant : spoiler: elle est intriguée par les cheminées qu’elle observe depuis la chambre et qui fonctionnent le jour et la nuit. Elle sait qu’il y a des juifs de l’autre côté du mur (et surement son ancienne patronne, idée qui semble la réjouir) mais elle ne voulait pas savoir ce qui leur arrivait. Quand elle le comprend, elle tombe des nues. Il y a donc pour Jonathan Glazer, des allemands qui savaient et d’autres qui ne savaient pas, ou qui ne voulaient pas réellement savoir.
    C’est un sujet sur lequel on n’a pas finit de débattre. Le film est difficile à placer clairement dans la chronologie de la Guerre. La Solution Finale est clairement en œuvre, les soviétiques encore loin, je dirais 1943-1944. Le vent a déjà tourné, mais Höss ne le sait pas encore. A la toute fin, il y a cette double scène en miroir fiction/réalité. spoiler: Höss essaie de se faire vomir sans y parvenir, et Glazer sortant alors du champ de la fiction, filme des femmes de ménages à l’œuvre dans le véritable musée d’Auschwitz.
    On peut discuter sans fin sur l’interprétation de cette scène comme de toutes les autres scènes du film, Glazer ne donne jamais aucune clef au spectateur. Ce film est le complément parfait du film, sorti l’année dernière, « La Conférence ». Christian Friedel et Sandra Hüller donne à l’horreur le visage de la banalité et de la bonne conscience. Ce contraste est, dans certaines scènes, quasi insoutenable.
    Goéland
    Goéland

    18 abonnés 108 critiques Suivre son activité

    5,0
    Publiée le 2 février 2024
    La « zone d’intérêt » est l’expression utilisée par allemands pour décrire le périmètre de 40 km autour du camp de concentration d’Auschwitz. Dans le film de Jonathan Glazer, le pavillon du commandant du camp, Rudolph Höss, et de sa famille, est situé juste derrière le mur d’enceinte du camp.
    On ne voit ni l’intérieur du camp, ni ses occupants mais ils sont intensément présents, hors champ, par la bande-son, terrible (pleurs d’enfants déchirés, cris de toutes sortes, horribles, aboiements de chiens, détonations, etc.) et par l’image des cheminées fumantes.
    Le réalisateur se centre sur la vie quotidienne d’une famille nombreuse aisée vaquant à ses occupations comme si de rien n’était. La mère dirige la maisonnée avec autorité veillant sur ses nombreux enfants et sur ses servantes. Le père se détend après son travail en jouant avec ses enfants, en leur lisant des fables pour les endormir ou en faisant de l’équitation.
    Rudolph Höss, est un maître organisateur qui brille par son efficacité dans le rendement du camp évalué en nombre de déportés « traités ». Il se bat pour garder son poste. La mère, Hedwig, jouit de sa vaste maison, de son jardin, de sa piscine qu’elle ne veut lâcher à aucun prix même quand son mari sera muté dans l’est. Les enfants se baignent dans la rivière, la famille organise quelques fêtes, les collaborateurs de Hoss lui souhaitent son anniversaire.
    Pourtant, si la famille Hoss semble tranquille, le spectateur ne l’est pas car le réalisateur, au-delà de la bande-son, envoie des signaux sur les horreurs qui se trament derrière le mur et esquisse des fissures dans l’implacable mécanique. Certaines séquences en surbrillance montrent une jeune fille s’activant la nuit autour du camp. Elles sont belles et mystérieuses : cette jeune fille aide-t-elle les prisonniers ?
    Le film est d’une beauté formelle remarquable, dans les cadrages, dans les mouvements, dans les lumières. Sandra Hüller joue là peut-être le rôle de sa vie. Elle semble plus vraie que nature, plus vraie que Hedwig Höss. Christian Friedel est moins crédible en Rudolph Höss, il paraît trop indolent pour le poste.
    Primo Levi a dit que les allemands considéraient les juifs comme des non-personnes qu’il fallait faire disparaître sans en parler. Jonathan Glazer illustre très bien cet argument.
    La bureaucratie nazie gère la déportation et l’exécution des juifs de façon froide, industrielle, sur la base de quotas et de résultats. L’ensemble de la chaîne de commandement exécute les ordres avec zèle, sans aucun état d’âme, avec une discipline, une obéissance sans faille. Alors qu’ils menaient des combats terribles sur deux fronts, les allemands ont trouvé les moyens logistiques d’organiser au cours de l’été 1944 la déportation de 700 000 juifs hongrois vers les camps d’extermination. Une inconcevable folie devient la norme. Cette froideur, cette efficacité, cet ordre nous alertent et nous rappellent que la désobéissance civique est l’une des premières formes de courage et de lucidité.
    Les seuls moments où les allemands renâclent sont ceux où leurs petits intérêts personnels sont menacés, quand une promotion n’est pas accordée, quand un transfert est envisagé, tout cela étant médiocrement universel et presque rassurant.
    La plupart des critiques disent que ce film est « glaçant », ce qui est vrai mais surtout, il nous interroge profondément, ce qui est encore plus remarquable.
    Yves G.
    Yves G.

    1 304 abonnés 3 306 critiques Suivre son activité

    3,0
    Publiée le 31 janvier 2024
    Officier SS, Rudolf Höss a commandé le camp d’Auschiwtz. Il y a vécu, avec sa femme et ses cinq enfants, dans une maison confortable.

    Le titre de ce film est obscur. J’ai dû aller en chercher la signification dans le dossier de presse du film : l’expression « zone d’intérêt » (Interessengebiet en allemand) était utilisée par les SS pour décrire le périmètre de quarante km² entourant le camp d’Auschwitz. Dans cette zone protégée vivaient notamment les soldats allemands chargés de la police du camp. On imagine que son commandant était le mieux loti.

    Tout le film de Jonathan Glazer repose sur un contraste monstrueux. À quelques mètres à peine du camp d’Auschwitz, de ses baraquements sordides, de ses chambres à gaz, de ses fours crématoires, Höss, sa femme et ses enfants menaient une vie paisible, semblable à celle de n’importe quelle famille allemande.

    Cette percussion entre une vie normale et son arrière-plan génocidaire est soulignée par deux éléments. Les images : beaucoup de scènes se déroulent en extérieur dans le jardin que Höss et sa femme ont patiemment aménagé en y plantant des fleurs et des légumes et en y creusant une piscine où, les beaux jours venus, leurs enfants s’égaient. Systématiquement en arrière-plan, on voit Auschwitz, ses barbelés, ses murs gris et ses cheminées qui fonctionnent à plein régime et dont on comprend avec horreur ce qu’elles expulsent. Le son : la bande-son est saturée de bruits indistincts, des sifflets de locomotives, des ordres hurlés, des cris de désespoir, des tirs de mitraillette… Ce travail sur le son m’a rappelé "Le Fils de Saul".

    Le problème de "La Zone d’intérêt" est qu’une fois ce cadre posé, rien ne se passe. "La Zone d’intérêt" est un film statique. Certes, de petites saynètes sont égrenées, censées montrer, sous des dehors ordinaires, la monstruosité de la proximité d’Auschwitz : un domestique fume les plantes du jardin avec des cendres dont on comprend aisément l’origine ; Mme Höss s’approprie un élégant vison sans doute volé à une prisonnière qui est en train d ‘être gazée ; un fils Höss joue innocemment avec des dents arrachées aux morts dont on se demande d’ailleurs comment diable elles sont entrées en sa possession ; la famille fait joyeusement ripaille, tandis qu’à quelques mètres à peine, on imagine les prisonniers d’Auschwitz qui ont échappé aux chambres, s’entre-déchirer pour un quignon de pain… Toutes ces saynètes au demeurant figurent dans la bande-annonce.

    Ma défunte sœur m’avait offert à sa sortie, pour mon anniversaire, en janvier 2016, le roman de Martin Amis que Jonathan Glazer porte à l’écran. Il m’attend sur ma table de nuit depuis huit ans désormais. Je le lirai en pensant à elle, qui m’a transmis le goût de la littérature, et aux images de ce film glaçant.
    Nicolas L.
    Nicolas L.

    69 abonnés 1 658 critiques Suivre son activité

    1,5
    Publiée le 7 février 2024
    Exemple même qu' une excellente idée de cinéma ne fait pas forcément un bon film. L'idée de départ (montrer le quotidien d'une famille nazi dont la maison du bonheur juxtapose le camp d'austwich) était une bonne idée de cinéma, ne rien montrer du camp mais juste entendre l'horreur en hors champs était une idée géniale de cinéma. Malheureusement le film n'a rien à raconter de plus et au bout d'un quart d'heure ayant compris le seul interet du film, on s'ennuie severe. La mise en scène est prétentieuse et vide. C'est tres très lent.Quelques scènes expérimentales pour faire intello et une musique (ou plutôt des bruits) affreuse pour séduire les cannois et on repart avec le Grand prix. Bref c'était une super idée au départ mais c'est au final un beau ratage. Dommage
    traversay1
    traversay1

    3 139 abonnés 4 634 critiques Suivre son activité

    3,5
    Publiée le 12 novembre 2023
    C'est dans une maison cossue, avec un jardin extraordinaire, que vivent le commandant d'Auschwitz et son épouse épanouie. Les couleurs du film adapté du roman de Martin Amis sont chatoyantes et rappellent, volontairement, les bobines de propagande tournées au temps du 3ème Reich. A proximité immédiate, les trains de la mort arrivent en gare et et les fours crématoires exhalent leur fumée acre. L'horreur est hors-champ ou plutôt en contrechamp, à un jet de pierre de la vie moelleuse et sereine des criminels de guerre et de leur famille, qui, bien entendu, ne font qu'appliquer le "projet" de la solution finale, en étant jugé sur les résultats. Film sur la banalité du mal, souvent illustré au cinéma, La zone d'intérêt, dans la lignée de La Conférence, ne suscite pas les réactions épidermiques face à l'insoutenable, éprouvées devant Le fils de Saul, par exemple. Son atrocité est nourrie par la connaissance que possède chacun de l'Holocauste et du contraste avec la vie bourgeoise menée par ces serviteurs d'une idéologie nauséabonde. La représentation de l'abomination passe par ses bruits, parfaitement perceptibles, comme une bande originale de l'infamie, auxquels ses voisins et complices restent sourds, englués dans leur quotidien tranquille qui n'est que luxe, calme et félicité.
    irgendwer92
    irgendwer92

    8 abonnés 25 critiques Suivre son activité

    0,5
    Publiée le 19 février 2024
    Film prétentieux, lisse et sans émotion. Beaucoup de choses incompréhensibles. Je vais finir par bouder, moi aussi, les salles de cinéma. bien trop de films sont à l'image de celui-ci : superficiel, sans profondeur...
    Frank Trouillard
    Frank Trouillard

    5 abonnés 21 critiques Suivre son activité

    2,0
    Publiée le 23 janvier 2024
    Un peu la caricature du film intello ou pour les intellos ! Les 20 premières minutes sont bien on comprend bien le point de vue adopté original qui fonctionne bien mais ensuite il ne se passe rien ca tourne en rond sur ce principe de départ - On pourrait presque dire qu'un court métrage de 20 mn aurait été parfait en fait - Et puis le final douteux où il semble que le chef de camp est pris de remords : il a du mal à digérer - nous aussi...
    Audrey L
    Audrey L

    560 abonnés 2 426 critiques Suivre son activité

    2,5
    Publiée le 26 janvier 2024
    Allez, on va être le 1% qui n'a pas été embarqué par ce film communément admis comme chef-d’œuvre. Installation dans la salle du Palais plutôt compliquée (un des films les plus attendus sur la Croisette), et finalement ce constat par nos soins : c'est Le Garçon au pyjama rayé, avec une ouverture où vous n'avez pas intérêt (la Zone ?) à vouloir aller faire pipi (c'est un écran noir qui dure 5 min - ou 55 ? Ça nous a paru une éternité, mais notre montre n'était pas d'accord, cette menteuse...-, avec une musique bruyante très pénible. Déjà, on a compris qu'on allait passer un bon moment), avec des séquences entières en négatif (pourquoi ??? Au début on pensait qu'il s'agissait des fantasmes de la mère de famille, et puis non : alors on a regardé les images en abandonnant l'idée de comprendre ces séquences "regardez je fais du cinéma d'auteur"), avec ces plans qui coupent outrancièrement les lignes de fuite par des murs ("comme dans le camp qui est juste à côté", ouh, merci, je crois qu'on était trop niais pour le comprendre au vingtième plan qui nous le refait). On a d'un côté ces scènes qui nous gonflent à nous sur-expliquer tout ce qu'on doit comprendre dans le lien (pourtant évident) de cette famille enfermée dans un nazisme aliénant (la mère est horrible, le gamin joue aux voitures sans comprendre ce qui se trame de l'autre côté du mur, le père est aveuglé par les avantages de sa situation de bourreau...) et les prisonniers du camp. De l'autre côté, ces scènes qui ne s'adressent qu'au Jury des festivals présents dans la salle (et se fichent éperdument des autres spectateurs) en beuglant son esthétisme, son intelligence insaisissable, toute sa mise en scène crâneuse (le négatif étant le plus flagrant) qui cherche seulement les Prix, mais casse tout effet d'émotion. Une émotion étonnamment absente, avec les jeux des acteurs d'une froideur absolue (un parti-pris qui permet de souligner la déshumanisation de cette famille, qui n'est qu'une coquille vide), qui essaie de s'opposer à la violence des sentiments de son concurrent direct Le Garçon au pyjama rayé (qu'on lui préfère mille fois). Peut-être le seul geste sincère de ce film à Prix, dont on a subi l'étalage de mise en scène, et dont on est ressorti en étant le 1% qui crie à l'esbroufe. Le seul endroit où on a trouvé de l'intérêt, c'est dans son titre.
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