Le problème de la satire, c'est qu'on peut avoir du mal à distinguer la bonne de la mauvaise, car la mauvaise peut soutenir qu'elle a fait exprès de raconter n'importe quoi sur un sujet, car elle s'en moque. Pirouette difficile à défendre, cependant, dans le cas d'Orange mécanique, qui traduit, une fois de plus, la psychorigidité kubrickienne, doublée d'une lubricité affichée et d'un amour esthétique pour les procédures militaires.
Le film s'ouvre sur un travelling arrière partant d'un détail de l'image pour nous laisser savourer, en mirifique photographe que Kubrick est, sa composition magistrale… C'est miser sur le pari discutable que le cinéma trouve sa beauté dans l'immobilité. Les personnages prennent la pose, ainsi qu'il l'a prendrait pour être peints. Kubrick fabrique donc des tableaux qu'il nous laisse admirer. Ce procédé se répète au moins cinq fois dans le film.
Mise à part cette fascination ayant peu trait à ce qui constitue l'essence du cinéma – le mouvement, contrairement à bien d'autres arts –, on est amenés à suivre des brailleurs criminels, poussant la chansonnette classique lorsqu'ils commettent des atrocités. Les délinquants sont pris hors de toute condition sociale ou systémique. Ils sont le Mal ex nihilo, sauvages, surtout en groupe, la nuit, face aux sans-abris comme face aux bourgeois. Mais alors de quoi nous parle Kubrick ?
Si ce ne sont pas des circonstances poussant les individus à la délinquances, peut-être s'agit-il de leur traitement pénitentiaire. À cela, la satire de Kubrick critiquerait l'aliénation des détenus par le système carcéral, qui ne se contente plus seulement de les priver de liberté, mais de leur infliger un traitement "médical", pour leur ôter le Mal. Une lobotomie effectuée en diffusant des images répulsives, sur fond de musique classique.
Non content d'avoir fait un parallèle douteux entre l'art et la délinquance – alors qu'on prête à l'art, au contraire, des vertus émancipatrices –, Kubrick relie la musique à un réflexe pavlovien de désincarnation humaine. Le sujet de laboratoire, à l'écoute de Beethoven, éprouve désormais un sentiment de soumission, allant jusqu'aux vomissements, lorsqu'il ressent une pulsion barbare.
En bref, en souhaitant satiriser la répression politico-militaire d'une société gangrénée par la délinquance, Kubrick produit un film crypto-fasciste, et tente d'imprimer, de force, quantité d'images chocs, exemplairement celle, gratuite et insoutenable, de la méthode Ludovico.