« La vertu vient de l'intérieur, la vertu est un choix. Quand un homme ne peut plus choisir, il cesse d'être un homme »
Il était des réalisateurs en qui on pouvait mettre toute sa confiance quel que soit le sujet traité, quel que soit le genre utilisé et Maître Kubrick en faisait incontestablement partie ! « Orange Mécanique » est un classique indémodable car toujours hors surface temporelle tant les décors et l'ambiance générale ne trouvent aucune comparaison. Rien que le dialecte utilisé par les protagonistes (un anglais à la fois proche et lointain) nous emmène dans un autre monde, un monde un peu fou qui représente le 21ème siècle pour un cinéaste qui ne l'aura pas connu ! Notre société vue par Kubrick fait très peur, il n'y a pas que l'immoralité d'Alex qui nous refroidira... Tout l'univers créé renvoie à l'excès et à la pornographie (les infirmiers qui font l'amour à côté d'Alex alors qu'il se trouve dans le coma, les objets décorant les maisons, etc...)... Et cette technique au stade expérimental, la Ludovico, qui nous dirige vers un régime totalitaire faisant de nous des presque-robots... Le débat est ouvert, avons-nous confirmé les suspicions du cinéaste ?
« Orange Mécanique » se présente donc comme un film d'anticipation mais également comme une satire de la société moderne et Kubrick n'hésite pas à nous déranger là-dessus dénonçant le fascisme latent de la science au service de la morale. Il était convaincu que le conditionnement psychologique était une arme nouvelle utilisée par un gouvernement totalitaire afin d'imposer un vaste contrôle sur les citoyens.
Le film milite vers cette thèse : forcer l'éducation des « déviants » sans tenir compte de leur volonté (principe de la technique Ludovico), c'est presque se révéler plus immoral que ces déviants ! L'une des qualités premières de l'être humain, c'est sa liberté et c'est précisément ce qu'attaque la technique Ludovico ! Alex, au début du métrage représente l'homme à l'état de nature (un barbare), il est trahi par ses complices et se retrouve en prison, on lui propose cette technique et une libération anticipée. Cette technique fonctionne sur lui et, une fois libéré, il devient alors le bourreau de ses anciennes victimes !
On sait que, généralement, Kubrick se détache de l'oeuvre littéraire qu'il adapte cinématographiquement, on en aura la preuve avec son excellent « Shining » que Stephen King a détesté car ne rendant pas service au propos de son roman. Paradoxalement, avec « Orange Mécanique », Kubrick est assez fidèle à l'oeuvre de Burgess sortie 10 ans avant le film. Une grosse différence de taille néanmoins : le final. Pour le livre, Alex aurait dû reprendre ses activités délinquantes avec d'autres complices, il recroiserait ensuite Pete qui se serait rangé (femme et enfants). Touché par cela, Alex déciderait alors de se ranger à son tour songeant à fonder une famille... Ce final a simplement été écarté par Kubrick. Le jargon utilisé dans le film est également bien moins présent que dans le livre, reconnaissons que Kubrick utilise ce jargon à juste dose.
Soyons francs, hors contexte, il n'est pas difficile de trouver un film plus violent qu' « Orange Mécanique » ! Ce qui a choqué (et continue), c'est l'association de ces scènes barbares (viols, meurtres, etc...) avec une esthétique toute particulière. Le choix musical est très ingénieux (comme à l'habitude du cinéaste), cette allure festive qu'il confère à certaines séquences hard nous déboussole complètement ! Plus jamais nous n'écouterons les musiques utilisées de la même façon ! Les décors improbables ont également cet impact ! Cette perte de repères nous effraie, le message de l'oeuvre n'en est que plus intense !
Il fallait être Stanley Kubrick pour arriver à un tel résultat avec un budget aussi minime ! Son perfectionnisme a fait en sorte que ce film reste une référence et une leçon presque 50 ans après ! J'ai eu l'occasion de profiter de l'exposition lui étant consacrée à la cinémathèque de Paris, j'y ai vu un témoignage fort intéressant où Malcolm McDowell parlait de la mise en scène du cinéaste comme d'un cadeau. Kubrick s'est montré comme un père pour son acteur principal, un lien très fort entre les deux hommes s'est créé de sorte que le jeune acteur prenait énormément de plaisir et n'avait aucune difficulté à cerner son personnage ! Il est intéressant de souligner que la danse culte de McDowell est une pure improvisation de l'acteur, ce qui est fascinant car il s'agit sans doute de la plus « belle » scène du film ! « Belle » est un très mauvais choix de qualificatif car il s'agit de la séquence la plus hard ! McDowell achevait son témoignage en précisant qu'une fois le tournage terminé, Kubrick était passé à autre chose du jour au lendemain... Plus aucune relation n'était envisageable entre les deux hommes ! Kubrick, c'était le moment présent, il savait exactement ce qu'il fallait faire pour obtenir le meilleur et il l'obtenait, après il allait voir d'autres horizons ! « Orange Mécanique », pourquoi ce titre ?
Voilà une question que je me suis posée sur le tard... Pour moi, « Orange Mécanique » était associé au roman et au film culte, point ! Je ne me posais pas cette question du titre. Burgess nous offre la réponse: cela vient d'une vieille expression londonienne « il est bizarre comme une orange mécanique », cela renvoie donc à l'étrange, à l'inhabituel. En Malaisie, « Orang » signifie « être humain », en traduisant le titre : l'homme mécanique, on comprend plus facilement le rapprochement logique de l'homme sortant du fameux traitement Ludovico. Après tout, pourquoi chercher une explication ? « Orange Mécanique », ça en jette non ?