Découvrir Clockwork Orange à 33 ans est intimidant. Le film est prêt depuis quelques mois et quand enfin on ose le lancer... l'expérience est aussi déstabilisante que prévue. La SD, la couleur criarde de l'introduction, les décors et costumes improbables, les scènes toutes plus malsaines les unes que les autres, la BO classique remixée techno, les coupes de la réalisation, le Nadsat auquel on ne comprend rien. Il faut un peu de temps pour se poser et analyser.
Ce n'est qu'après visionnage que j'ai appris que ce langage d'argot du futur était mi-inventé (Pee and em : Papa & mum), mi-inspiré, notamment du russe (Droog, ami vient de "droug", Gulliver, cerveau de "golova"). Il permet d'atténuer la violence des actes : "a young devotchka who was being given the old in-out, in-out. First by one malchick. then another. Then another. When it came to the 6th or 7th malchick leering and smecking and then going into it, I began to feel really sick [...] Doing it or watching it, I used to feel real horrorshow.". Replacer dans la phrase : jeune fille, violée, jeune homme, en riant, je prenais mon pied et vous ressentirez bien davantage la charge émotionnelle des actes monstrueux de notre héro. L'utilisation de mots inconnus, non connotés permet ainsi de faciliter notre attachement à Alex dont les actes sont atténués. Le titre Orange Mécanique enfin se dévoile : le terme "Orange" veut dire homme (du Malais : "orang").
Le film se déroule donc dans un futur dystopique où la chimie et le conditionnement psychologique ont progressé et dont le gouvernement totalitaire est prêt, pour stopper le crime et assurer la sécurité de la société, à aliéner ses membres violents, les rendre mécaniques, leur enlever le choix car peu importe la morale, seul importe le résultat (applaudissement). Après visionnage ce qui me gène c'est que le réalisateur n'offre aucune réponse à son dilemme moral : combattre la violence par la violence est immorale rien de nouveau là dedans. Kubrick se borne à montrer les dangers du fascisme basé ici sur les progrès de la science mais il n'analyse même pas les origines de la violence : la famille d'Alex est creuse et peu dépeinte, les parents semblent dépassés certes mais on ne voit pas de pauvreté, de violence ou d'abandon dans son environnement proche. Sa violence semble créé par aucun contexte social, elle sort de nul part. Le réalisateur propose encore moins de solution que d'explication. Il nous montre bien la complexité des motifs politiques mais comment font les dissidents libertaires pour manipuler l'opinion ? Ils ne cherchent pas à montrer la monstruosité de la méthode Ludovico et la robotisation, la perte d'humanité et de choix qu'elle engendre : ils mentent en prétendant qu'elle ne fonctionne pas et crée des pulsions suicidaires... Le film s'achève d'ailleurs en rassurant sur le risque fasciste : la lobotomisation est réversible, Alex est guéri : "I was cured, all right." Et puis on est encore dans un schéma cinématographique classique et fantasmé d'un karma qui ferait que les méchants sont punis par les mêmes qu'ils ont offensé. Alex se fait ainsi martyrisé tour à tour par le SDF, ses anciens droogies et l'écrivain. Rien de très transgressif là-dedans. En parlant de transgression, la crudité des scènes (sexe et violence) et leur traitement est intéressante sous deux aspects contradictoires : elle ne nous empêche paradoxalement pas de nous attacher au héros (notamment grâce au Nadsat, la BO, au jeu et la gueule d'ange d'Alex, aux costumes dissociant le clown du gamin et surtout la regrettable esthétisation de la violence) et elle permet de justifier le "traitement" qui suivra.
Au final j'ai passé un moment sans temps mort (malgré un film qui a a 50ans!), ai identifié l'origine de quelques unes des innombrables références qu'a inspiré l'oeuvre mais j'ai du mal à justifier son statut culte, la faute à ma capacité à discerner un message plus subtile que celui-ci entrevu plus haut. Peut-être au second visionnage.