Avec leur saccage dorénavant annuel de tous leurs plus grands films d'animation, Disney peuvent se vanter d'avoir inventé un nouveau type de cinéma, celui qui achète à prix d'or l'émotion du spectateur au lieu de la lui vendre. Le rapport compliqué entre la petite souris et son public a maintenant atteint son apogée avec cette édition Deluxe du chef d'oeuvresque Roi Lion. Pas un remake, pas une redécouverte, pas une nouvelle expérience, mais purement et simplement une remastérisation haute définition à 250 millions de $.
Jamais encore dans toute l'industrie n'a-t-on vu de film aussi paranoïaque que ce clone raté, terrifié à l'idée de se mettre à dos toute une horde de fans enragés et assurant ses arrières en reprenant absolument tout de son aîné jusqu'au stade délirant de posséder 98% des mêmes dialogues et 100% des mêmes scènes. Cet abominable vol artistique pousse l’aberration à un niveau si élevé que l'on regarde le massacre, le cerveau éteint et le regard mort.
N'ayant que sa prouesse visuelle comme vulgaire cache-misère, Le Roi Lion réussit l'exploit d'être incohérent avec son seul argument de vente, la refonte graphique complète en réalité virtuelle. S'il faut reconnaître que le pari technique est à s'en décrocher la mâchoire, il détruit immédiatement toute chance d'identification et d'émotion, dépersonnalisant les décors les plus emblématiques de l'original et banalisant l'apparence des animaux pour coller le plus possible à des images réelles. Une grande gêne nous envahit quand nous sommes incapables de différencier Nala de Sarabi ou même du reste des lionnes. Les personnages sont complètement zombifiés, condamnés à une unique expression faciale et privés de leurs traits physiques qui les rendaient si charismatiques.
Ce n'est pas une balle mais tout un chargeur que Jon Favreau se vide dans le pied en décidant d'expérimenter le réalisme au maximum. Car le problème n'est pas juste qu'il copie le film d'origine, c'est qu'il ne le repense pas. Le Roi Lion humanisait ses animaux de façon à ce que l'histoire avance grâce à leurs palettes émotionnelles folles, aucun n'était cantonné à un visage figé, chacun passait par le rire, la peur et la colère en montrant la richesse de leurs personnalités. Tout le contraire de cette refonte où sont rejoués les mêmes passages mais sans ce qui faisait vivre ces personnages. Le résultat en est malaisant et ridicule voire carrément parodique quand les acteurs doivent faire ressentir de la tristesse ou de la panique et qu'ils ne sont réincarnés à l'écran que par des morts-vivants numériques. Entre le Simba traumatisé et le Simba revigoré, on cherche désespérément une différence. Et que dire d'un Mufasa qui chute avec la grâce d'un sac à patates.
En jouant à l'exercice du décalquage, Favreau paralyse son film et subit tous les effets de son parti pris esthétique. Les mouvements de caméra complexes et les choix de montage de l'original perdent à chaque fois leur impact, les corps sont plus lourds, les actions plus lentes, la photographie est uniforme, la Terre des Lions ne se démarque en rien des autres environnements à cause de cette touche jaunâtre qui couvre toutes les couleurs des paysages, tout se suit avec un détachement ahurissant, on ne se sent proche de personne, on ne souhaite pas être avec eux, on ne comprends pas ce qu'ils ressentent alors que quasiment tout est filmé comme en 1994. Si seulement il avait été traité comme il aurait dû l'être, un docu-fiction animalier qui se passe de voix, de chansons et qui veut se rapprocher du style de réalisation externe et distant des documentaires, Le Roi Lion aurait déjà eu beaucoup plus d'intérêt et surtout de logique.
Car plus dérangeant encore que de voir des animaux inexpressifs parler, il faut aussi les faire chanter. On se souvient avec douleur du I Wan'na Be Like You du Livre de la Jungle, Favreau n'a pas plus appris en 3 ans. Le Roi Lion possède probablement les pires séquences musicales vues ces dernières années au cinéma, se résumant à faire courir à l'infini les personnages sur des surfaces plates, sans science du découpage, sans donner de l'envergure aux drops et étant totalement hors-sujet avec l'imagerie du film.
À l'exception de Circle of Life interprétée en off et copiant au plan près et à la seconde près la scène originale, les autres titres ne trouvent jamais une illustration qui rende honneur à leur énergie, I Just Can't Wait To Be King et Hakuna Matata sont très bien reprises mais visuellement molles du genou, Can You Feel The Love Tonight fait intervenir Simba et Nala à la place des choeurs mais Beyoncé bouffe son partenaire (et nous sert une nouvelle chanson, Spirit, absolument pas à sa place et musicalement discordante) et la romance censée briller sous les étoiles se passe en plein jour, bonjour l'application.
Finalement, la seule chanson à bien passer est tristement celle qui a été rajoutée à l'arrache quelques mois avant la sortie, Be Prepared. Si on sent une mutilation certaine (l'air et la rythmique n'ont plus rien à voir), elle est la seule à avoir fait ce que tout le reste de la BO aurait dû faire, s'adapter au média. Le nouveau sens qu'elle trouve (Scar n'expliquant plus son plan aux hyènes avec domination mais devant les convaincre de se rallier à lui, elles qui pensent déjà à le dévorer vivant) est intéressant et la révision n'est pas si mal, passée la déception de l'entendre raccourcie et bloquée dans le chanter-parler.
Hans Zimmer, dont le travail devient de plus en plus piteux, obéit au doigt à l'oeil à la consigne des exécutifs, resservir la même soupe, et le bonhomme n'y va pas avec le dos de la cuillère, ses compositions sont quasi-identiques, souvent même trop car elles ne sont même pas synchro avec les images si quelques secondes les séparent des anciennes. Les thèmes-phares arrivent presque à lasser à force d'être répétés encore et encore sans changement. Et les retours de Tim Rice, d'Elton John et de Lebo M ainsi que les participations de Pharrell Williams et de Beyoncé n'y changeront rien.
Le casting, quant à lui, est gâché par la froideur et l'indifférence que provoquent leurs rôles. Toutes les stars font pourtant un très bon boulot, Donald Glover, Beyoncé, Alfre Woodard, John Kani, John Oliver, JD McCrary et Shahadi Wright Joseph sont d'excellents remplacements, Billy Eichner et Seth Rogen arrivent à nous faire oublier Nathan Lane et Ernie Sabella et leurs impros très drôles sont les rares moments à créer une réaction chez nous, Florence Kasumba joue une Shenzi plus sérieuse qui compense les interruptions bouffonnes de Keegan-Michael Key et Eric Andre, et James Earl Jones, malgré les 88 ans au compteur qui se ressentent et une récitation assez automatique (ses nouvelles répliques se comptent sur les doigts d'une main), reste une voix iconique et puissante.
Le seul bug vient de Chiwetel Ejiofor en Scar. Si la star fait très bien le taf', son cast est une erreur et sa direction encore plus. Déjà parce que là où la voix nasillarde et aigrie de Jeremy Irons s'opposait génialement à celle grave et caverneuse de James Earl Jones, celle de Ejiofor est trop commune et trop jeune. De plus, son Scar est plus gueulard, plus brutal et n'a plus ce qui faisait la signature du personnage, à savoir un comédien-né qui sait jouer les êtres pathétiques à merveille, alors qu'il garde les mêmes dialogues. Scar n'est donc plus que son propre cliché, faisant la gueule pendant deux heures, étant trop actif par rapport à sa nature (la jolie droite à Mufasa ou ses passages plus agressifs), hurlant comme un idiot ses tirades et forçant à l'extrême ses discours, et se trahissant tout seul comme un grand dans le climax de la manière la plus conne qui soit.
Rafiki est un des quelques personnages épargnés, ses apparitions taiseuses étant parmi les rares beaux moments du film où Favreau comprend enfin qu'il doit trouver un autre langage audiovisuel pour communiquer. Les quelques nouvelles scènes sur la vie animale et leur communion sont les seules à nous sortir du sommeil, imageant l'histoire et racontant le message comme tout le reste du métrage aurait dû le faire, bien qu'on ne restera pas aveugles face à leur rallongement excessif pour gagner du temps (ce qui n'est rien à côté des autres trouvailles de "génie" synonymes de foutage de gueule telles que The Lion Sleeps Tonight qui voit sa durée tripler).
D'autres points scénaristiques sont étrangement rushés (les retrouvailles avec Nala, Zazu voyant Simba en vie), certains sont handicapants (Timon et Pumbaa ne sont plus les seuls habitants dans leur petit coin de paradis) d'autres ne sont même pas exploités (Shenzi devient une sorte de guide, de porte-parole au nom de son espèce, un équivalent à Scar et est pourtant encore moins présente qu'en 94, et son combat avec Nala sort de nulle part, rien n'a mené à cet instant) et la narration davantage centrée sur la survie des lionnes ruine le sentiment de solitude axé sur Simba, la mort de son père ne paraît plus qu'être un prétexte pour lancer l'histoire.
Film de lâches absolument indéfendable et inexcusable, Le Roi Lion fait honte à tout ce qu'il est censé honorer, croyant que de simples images peuvent suffire à reproduire la maestria de son modèle et ne distillant rien d'autre que de l'ennui et de la consternation. Une des pires oeuvres de cinéma que Disney nous ont proposé en 15 ans.