Il serait faux d’affirmer que Le Roi Lion cru 2019 n’apporte rien. Bien au contraire, il offre une couleur nouvelle à la chanson emblématique qui l’ouvre et le clôt, ce « cycle de la vie » qui apparaît tel le credo désormais en usage chez Disney : penser son art comme cyclique, inévitablement destiné à se répéter. De ce constat cynique découle une entreprise de correction de ses œuvres emblématiques en leur offrant un nouveau master, en les corrigeant si besoin (c’est-à-dire en les censurant), en les forçant à faire peau neuve. Toutefois, la démarche énoncée ici a pu engendrer des relectures personnelles et audacieuses – pensons à Alice au Pays des merveilles qui, malgré sa laideur numérique, revisitait l’univers de Lewis Carroll. Veillons donc à ne pas diaboliser la souris milliardaire : chez elle survivent encore quelques artistes, naissent encore des projets audacieux, bien qu’ils se fassent de plus en plus rares. À ce titre, Le Roi Lion incarne mieux qu’un autre la notion de cycle artistique dans ce qu’il a de plus tragique : l’œuvre originale se rejoue devant nos yeux et nous considère comme un public d’oublieux, voire d’incultes. On pourra argumenter qu’en proposant une remasterisation 2.0 dudit film, en le réparant, en le frottant comme un sou neuf, la longévité de celui-ci s’en verra accrue. Mieux : sa pérennité sera garantie. Car il est communément admis aujourd’hui que les jeunes générations ne connaissent pas Le Roi Lion, que ses éditions en Dvd ou Blu-Ray s’avèrent défaillantes, que ses retransmissions télévisuelles manquent à l’appel, qu’une comédie musicale de même nom n’a pas vu le jour. Il fallait le refaire. Et en plus propre, en plus spectaculaire, en plus réaliste. Problème. Ce qui est réel n’est, par définition, pas propre. Or, si le perfectionnement des technologies de réalité virtuelle a su remédier aux pixels visibles pour atteindre l’image parfaite, il est incapable de donner naissance à la rugosité d’une terre, à la fertilité d’une plaine, au bruit d’une savane. Alors nous rions jaune lorsque bon papa Musafa présente à son rejeton « cette terre gorgée de soleil ». De quelle terre est-il question ? De quel soleil ? Ce à quoi j’assiste, moi spectateur, c’est à un fond d’écran d’ordinateur plus vrai que nature. Et c’est justement ça le hic. La quête frénétique de l’image parfaite aboutit à tout esthétiser, et par conséquent à tuer l’esthétique dans ce qu’elle a d’arbitraire, de périodique, d’artistique. Même la noirceur est lumineuse : l’image n’a aucun grain, aucune âme. Quand des animaux ouvrent un tronc d’arbre et déguste ce qu’il contient en prétendant que « c’est local », que « c’est produit sur place », nous rions jaune une fois encore. Que veut dire « sur place » ? À quelle position cette localisation renvoie-t-elle, puisqu’il n’y a pas de lieu ? Le Roi Lion n’est pas une œuvre de cinéma, ne vous y trompez pas. Les émotions construites numériquement sont extraites de l’œuvre originale, ou alors le fruit d’algorithmes et de logiciels aptes à calculer la grosseur nécessaire des yeux, le mouvement idéal de la crinière pour suggérer tel type d’affect désiré. Ici le spectateur n’a aucune prise sur ce qu’il voit, il ne participe pas au déroulement du spectacle. Il reçoit, ingurgite et digère. Une exception à cela : la voix de Jean Reno, qui apporte une véracité à la fois tendre et bouleversante. Il s’agit, à n’en pas douter, de la seule bribe d’humanité dont le film est pourvu. Film qui, avec ses 260 millions de dollars de budget, aurait pu contribuer à la défense de la savane africaine (par exemple) en filmant de vrais animaux et de vrais décors ou, faute d’animaux et de décors, aider à réinsérer les espèces menacées, replanter également. A contrario, des milliers d’ordinateurs qui, pendant des années, surchauffèrent – non pas à la manière d’un esprit créatif – dans un mépris total des enjeux environnementaux. Le roi est bel et bien mort. En lieu et place, son reflet. Vivat !