Frissons garantis. Mais avant de commencer à rédiger vraiment cet avis, je tiens à dire qu’en lieu et place du biopic, il serait plus opportun de parler de film historique. Pourquoi ? Parce que le scénariste Anthony McCarten et le réalisateur Joe Wright reviennent, non pas sur la vie de Churchill de A à Z, mais uniquement sur les premières semaines de gouvernance de l’homme politique, à l’heure même où le Royaume-Uni (tout comme bon nombre de pays de l’Europe de l’Ouest) vivait des heures bien sombres. Pensez donc : nous sommes le 9 mai 1940, au moment même où la terrible armada allemande terrasse les pays européens les uns après les autres avec une insolente facilité. Le Premier Ministre britannique en place a perdu toute crédibilité et se voit dans l’obligation de démissionner dès le lendemain. En effet, sur le terrain, les choses tournent mal pour les troupes britanniques et leurs alliés qui n’ont de cesse de reculer devant la rapidité et l’implacable organisation des forces ennemies. Le 10 mai 1940, est donc nommé à la hâte Winston Churchill, en qui peu de personnes croyaient (c’est un euphémisme). Nous savons tous aujourd’hui ce que ça a donné. Par "Les heures sombres", nous revenons donc sur les premières semaines de gouvernance de l’homme qui fut le premier artisan du combat héroïque contre la tyrannie épandue sous la croix gammée. Et voyez comment en mobilisant la langue et les mots, il a envoyé au combat une nation comme d’un seul homme, ainsi que les alliés. De cette façon, le spectateur découvrira directement depuis les coulisses les premières décisions très contestées de celui qui deviendra l’instigateur héroïque du combat contre l’invasion nazie. Et c’est toujours intéressant (en tout cas souvent) de découvrir les coulisses d’un tel événement. On l’a vu par exemple avec "Imitation game". "Les heures sombres" peut être vu aussi comme un avant et pendant du film "Dunkerque" de Christopher Nolan. Tout du moins comme un complément, notamment sur la création de l’opération Dynamo. Mais surtout, Gary Oldman n’interprète pas Winston Churchill, il EST Winston Churchill. Et cela sans prendre le moindre kilo. Applaudissements mérités envers l’équipe des maquilleurs qui a permis de rendre l’illusion possible. Mais cela ne fait pas tout ! Il fallait aussi la diction, le timbre de voix, la gestuelle… Et Gary Oldman, après avoir mis du temps à accepter le rôle, a pris la peine de travailler longuement tout cela pour les reproduire à l’identique. C’est grâce à ce travail qu’il a pu retranscrire les postures, et toute la puissance de ses discours (au mot près, dois-je le préciser), des discours encore aujourd’hui véritables modèles de ténacité et de courage. Alors oui, les frissons vous parcourront lors de ces allocutions. Y compris dans la version française ! D’autant plus que la musique discrète et pourtant bien présente de Dario Maranelli parachève le boulot. La caméra de Joe Wright est immersive (jusque dans sa vie privée), et c’est là une manière de ranger le spectateur tout de suite du côté de cet homme à la fois gentil et tyrannique, aussi réfléchi qu’imprévisible. Des traits de caractère qui avaient une fâcheuse tendance à effrayer tout le monde
, y compris le roi en personne (pour lequel j’aurai plus vu Colin Firth, puisqu’il a tenu avec brio le rôle de George VI)
! Mais par cette technique, Joe Wright cache mal l’admiration qu’il a pour cet homme. Bon, il est vrai que Churchill est resté dans les mémoires de tous (en particulier des britanniques), par son entêtement, par sa main de fer, par ses discours aujourd’hui cultes, par son engagement qui l’a poussé à parcourir plus de 160 000 kms tout au long de la guerre. Certes le film est sombre, ce qui peut en rebuter plus d’un. Mais n’oublions pas que tout se passe (ou presque) dans des bâtiments surprotégés. La reconstitution se fait essentiellement dans des décors intérieurs entièrement reconstitués, à l’exception du Palais de Westminster ainsi que la résidence et le lieu de travail de Winston Churchill. Pour ce qui est des costumes et accessoires de l’homme politique, ils ont tous été rigoureusement reproduits, remontant pour certains d’entre eux aux fournisseurs historiques, en tout cas pour ceux qui existaient encore. Bravo aussi aux costumiers. "Les heures sombres" se distingue par un souci du détail important, grâce à une documentation poussée. Vous pourrez le constater par les cartes d’état-major, et les rares images d’archives présentes. Mais de ce film, on retiendra surtout la prestation époustouflante de Gary Oldman, qui tient là selon moi LE rôle de sa carrière.