« Les Heures Sombres », le film de Joe Wright, se concentre sur une période très courte de la guerre : le mois de mai 1940 qui commence avec l’invasion de la Belgique et se termine par le succès quasi-miraculeux de l’Opération Dynamo (dont on apprend qu’elle tient son nom d’un ventilateur !), une période ultra critique qui décidera de la suite de la guerre sur le front de l’Ouest. Le film de Wright ne partait pas gagnant car il y a moins d’un an était proposé « Churchill », un autre film mettant en scène le plus célèbre Prime Minister britannique à un tout autre moment de la guerre, tout aussi crucial d’ailleurs. Le film de Joe Wright allait devoir soutenir la comparaison, et la relative déception du film de 2017 aurait pu, paradoxalement, le desservir : pourquoi se coltiner un second film sur Churchill si on a été déçu par le premier ? Et bien, « Les Heures Sombres » remporte la timbale quasiment sans combattre ! Mieux scénarisé et plus créatif techniquement, il nous offre une leçon d’histoire (et de courage) accessible, claire et bien fichue. Le film dure 2 heures et honnêtement, on ne voit pas passer le temps. Techniquement, même si on peut lui trouver quelques défauts comme une musique omniprésente et sans imagination, force est de reconnaitre que Joe Wright n’est pas manchot avec une caméra. Il aime des traveling horizontaux et verticaux (voire vertigineux), il a compris qu’il n’est nul besoin de montrer beaucoup de scène de guerre pour faire toucher du doigt les tragédies qu’elle provoque. Il a quelques bonnes idées, comme celle de la lumière rouge, quelques gros plans intéressants, une façon dynamique de filmer les discours, (et ce n’est pas facile de rendre dynamique un long monologue). En résumé et pour faire court, malgré un montage classique (à base de calendrier, pas très inventif !) et un une bonne dose de classicisme dans sa manière de tourner, il réussi son film, c’est indéniable. La reconstitution est très soignée mais c’est le minimum aujourd’hui pour un film historique. Il faut dire que l’action se concentre que dans une poignée d’endroits, nous ne sommes pas dans la grande fresque qui en met plein la vue. Le scénario des « Heures Sombres » a la bonne idée d’être ultra resserré sur un temps très court, histoire de nous faire toucher du doigt l’urgence de la situation et la nervosité, pour ne pas dire la panique, qui a saisi le monde politique britannique en mai 1940. Il arrive même (presque) à créer un suspens là il y n’y en a pas, puisque tout le monde sait que Churchill ne se laissera pas imposer des négociations avec l’Allemagne : « We shall never surrender ». Ce que le film de Joe Wright appréhende très bien, et rend très bien à l’écran c’est la nervosité incroyable qui a amené le parti conservateur britannique et imaginer qu’il pourrait s’en tirer à bon compte en négociant une paix séparée avec Hitler. Fallait il être désespéré au point d’imaginer qu’Hitler allait respecter une éventuelle parole donnée après l’avoir vu trahir une par une toutes celles donnée auparavant à Munich ? Vu de 2018, l’obstination de Chamberlain et Halifax à vouloir négocier avec Hitler semblent d’une naïveté totale et incompréhensible. Mais on ne la comprend que si l’on touche du doigt la Peur avec un P majuscule qui étreint la Grande Bretagne, la peur d’être envahie et de voir fleurir les croix gammées dans les rues de Londres, la peur de perdre l’intégralité de son armée sur les plages de Dunkerque, la peur de disparaitre purement et simplement. Churchill lui-même semble par moment céder à cette panique, lorsque Calais tombe, lorsque qu’il supplie Roosevelt de lui venir en aide, en vain. Faire de Churchill un homme qui doute était nécessaire, pour ne pas tomber dans le piège du manichéisme. Je trouve que « les Heures sombres » est le parfait complément au film de Christopher Nolan « Dunkerque ». « Dunkerque » était un pur film de guerre, il était formidable et il ne lui manquait qu’une chose, un contexte historique clair. « Les Heures sombres » offre toute la lumière sur ce contexte, sur les enjeux et se pose en parfait complément historique : une guerre se gagne sur le terrain et en coulisse, et « le miracle de Dunkerque », longtemps négligé par le cinéma, méritait bien ce double éclairage. Pour ce qui concerne le casting, c’est surtout de Gary Oldman qu’il faut parler car son personnage écrasant met de facto sa performance sur le devant de la scène. D’abord, il faut souligner qu’il est méconnaissable et qu’il a abordé ce rôle exactement comme il fallait : en évitant d’en faire des tonnes. On le sait Churchill était imbuvable, gros buveur, capable de colères injustes et sujet également à des épisodes dépressifs, bref, une espèce de monstre de charisme difficile à appréhender pour un acteur. Oldman est pile comme il faut. Autour de lui, les seconds rôles sont bien tenus mais écrasés par le rôle titre, c’était inévitable. Que ce soit Kristin Scott Thomas (rôle pas assez étoffé), Bob Mendelsohn (pas assez… bègue), Lily James (un peu trop sous exploité aussi) ou bien encore Stephen Dillane, ils font de leur mieux pour faire vivre des personnages satellites, en orbite autour d’une étoile qui finit par les rendre difficilement visibles ! « Les Heures Sombres » est un film dont je me suis un peu méfié, et j’ai eu bien tort, je le reconnais volontiers. Il nous montre un Churchill qui va dans le sens de l’Histoire, avec une dose de courage politique bien supérieure à la moyenne là où le film de Jonathan Teplitzky l’année dernière le montrait quasi défaitiste et opposé au Débarquement. L’existence de ces deux films prouve au moins une chose, un homme politique peut être tour à tour tout et son contraire, avoir des éclairs de génies puis faire des erreurs de jugements terribles et, malgré tout, entrer dans l’Histoire par la Grande Porte.